Crèmes hydratantes : 3 millions de requins tués chaque année par l’industrie cosmétique
L’association BLOOM vient de tester 72 crèmes pour la peau comportant la mention « squalane » sur leur étiquette. Cette mention ne précise pas si cette substance hydratante couramment utilisée en cosmétique est d’origine animale (huile de foie de requin) ou végétale (olive ou canne à sucre). Les résultats sont formels pour 62 de ces crèmes : une sur cinq contient du squalane de requin !
En Europe, trois marques sur les 32 testées utilisent du squalane de requin : IOMA, Méthode Swiss beauty care et Topicrem.[1] Aux États-Unis, un échantillon sur les 14 analysés présente du squalane animal dans sa composition (marque Bliss). En Asie enfin, c’est plus de la moitié des crèmes testées (8 sur 15) qui en contient ![2] Certaines de ces marques se livrent même à de la publicité mensongère : Méthode Swiss beauty care affirme, par exemple, que « tous [leurs] produits proviennent de la richesse des ressources naturelles des Alpes Suisses » alors que leur crème contient du squalane de requin, ne provenant vraisemblablement pas des Alpes Suisses !
« Soit les marques achètent du squalane animal, moins cher que le squalane végétal, pour réaliser une marge plus importante, soit elles sont trompées par leurs fournisseurs qui leur vendent du squalane mélangé en le faisant passer pour du squalane végétal pur« , explique Laure Ducos, principale auteure de l’étude. « Nous avons mis au point en 2010 une méthodologie fiable et facile à mettre en place permettant de tester l’origine du squalane »[3] explique cependant Patrick Jame, directeur adjoint du groupe de recherche de l’Institut des Sciences Analytiques associé à l’étude. Les entreprises peuvent aisément tester les lots de matière première qui leurs sont fournis et n’ont donc plus d’excuse pour justifier la présence de squalane animal dans leurs produits.
« On estime à trois millions le nombre de requins profonds tués chaque année pour répondre spécifiquement à la demande internationale en squalane.[4] Pour certains d’entre eux c’est près de 95% de la population qui a été décimée, explique Claire Nouvian, directrice de l’association BLOOM. En supprimant ces grands prédateurs, c’est toute la chaîne alimentaire marine que l’on déséquilibre. »
Face à l’urgence de la situation, la règlementation internationale évolue trop lentement. »Il n’est pas acceptable que l’on puisse encore trouver du squalane de requin dans certaines de nos crèmes, conclut Laure Ducos. Toutes les marques doivent nettoyer définitivement leurs lignes de production et tester le squalane végétal qu’elles achètent. Ce n’est qu’au prix de ces engagements que nous pouvons espérer enrayer le déclin préoccupant des populations de requins profonds. »
CONTEXTE
En 2012, BLOOM a publié une étude qui a démontré que la demande de squalane de requin par l’industrie cosmétique restait importante, malgré une tendance grandissante à utiliser du squalane végétal. « Nous avions alors prévenu les marques que nous les testerions d’ici deux ans afin de savoir si elles avaient éliminé le squalane animal de leurs lignes de production, explique Claire Nouvian, fondatrice de l’association BLOOM. Nos résultats montrent que les tendances de 2012 se confirment : alors qu’en Asie, plus d’un produit testé sur deux contient encore du squalane de requin, la plupart des crèmes occidentales, elles, n’en contiennent plus. »
POINT CONSOMMATEUR
Il n’existe pas de règle générale quant à la stratégie de communication des entreprises sur l’utilisation de squalane végétal ou animal. Certaines vont jusqu’à faire écocertifier une partie de leurs ingrédients mais utilisent en même temps du squalane de requin ; d’autres n’affichent aucun signe de démarche environnementale responsable et n’utilisent pourtant que du squalane d’olive. Difficile pour le consommateur de s’y retrouver ! Il est donc essentiel que les marques affichent l’origine du squalane qu’elles utilisent sur l’emballage et l’étiquetage de leurs produits.
Les marques les plus chères (au-delà de 110 €/50 ml) testées par BLOOM ne contiennent pas de squalane animal et les marques les moins chères utilisent du squalane animal et/ou végétal : aucun lien ne peut être fait entre le coût des marques « bon marché » et la présence ou non de squalane animal.
ZOOM SUR LA LÉGISLATION : LES RECOMMANDATIONS DE BLOOM SUR LES MESURES À PRENDRE POUR ACCOMPAGNER L’ENGAGEMENT DES MARQUES
L’affichage et l’étiquetage de l’origine du squalane utilisé dans les produits doivent être rendus obligatoires ;
Il faut créer les catégories ‘squalane d’olives’/’squalane de canne à sucre’ et ‘squalane de requin’ au sein des douanes (à l’heure actuelle le squalane de requin entre dans la catégorie trompeuse d »huile de poisson’) ;
La production et l’utilisation de squalane de requin doivent être interdites au niveau européen. Cette interdiction pourra ensuite être étendue au niveau mondial par l’Organisation Mondiale du Commerce.
[1] Unilever, le principal actionnaire d’IOMA, s’était pourtant engagé à ne plus utiliser de squalane animal (Oceana, 2008), Méthode Swiss beauty care affirme que « Tous [leurs] produits proviennent de la richesse des ressources naturelles des Alpes Suisses » et d’après une conversation personnelle avec les laboratoires de la marque, Topicrem aurait stoppé l’utilisation du squalane de requin en 2013 (la crème testée a été produite en 2012).
[2]Marques BRTC, Cyber colors, Dr. Ci: Labo, Haba, Just Beyond – Organature, Menard et Missha.
[3] S. Guibert, M. Batteau, P. Jame, T. Kuhn, 2013. Detection of Squalene and Squalane Origin with Flash Elemental Analyzer and Delta V Isotope Ratio Mass Spectrometer. Application note 30276, Thermo Fisher Scientific Inc.
[4] R. Chabrol, 2012. Le prix hideux de la beauté : une enquête sur le marché de l’huile de foie de requins profonds. BLOOM Association, Paris, France. 35 p.