« Ne pas écouter les marchés financiers, mais le peuple », déclara le président d’Islande, Olaf Ragnar Grimsson, à propos des choix de son pays face à la grave crise financière survenue en 2008. Face à la crise similaire que traversent des Etats membres de l’Union européenne et au vu de la relance rapide de l’économie islandaise, ne faudrait-il pas se demander en toute logique si les solutions dont les peuples d’Europe ont besoin sont-elles aussi similaires à celles qui ont déjà fait leurs preuves en République d’Islande ?
Des manifestants devant le siège du Parlement islandais en 2008. La mobilisation populaire empêcha en Islande la mise en œuvre des mesures néolibérales que l’Union européenne et le FMI imposent aujourd’hui aux peuples européens touchés par la crise financière.
Le gouvernement islandais a informé récemment la Commission européenne et le Conseil européen du retrait de sa demande d’adhésion. Le gouvernement rose-vert avait sollicité en juillet 2009 cette adhésion, après que la crise financière aux Etats-Unis ait influé de manière catastrophique sur les banques islandaises. Lorsque le pays s’est rétablit, étonnamment vite, et qu’en avril 2013 un nouveau gouvernement a été choisi, les négociations ont été gelées.
Le ministre des Affaires étrangères, Gunnar Bragi Sveinsson, a noté sur son site web : « Les intérêts de l’Islande sont mieux servis en dehors de l’Union européenne. » La population n’approuverait pas l’adhésion, car ces dernières années, elle a réalisé, ce qu’elle avait pu atteindre de ses propres forces.
L’Islande est une île dans l’Atlantique avec 350 000 habitants. Le pays dispose de zones de pêche abondantes. Ses habitants pratiquent un peu d’agriculture avec beaucoup d’élevage de moutons et accueillent de plus en plus de touristes qui parcourent le pays attirés par la beauté de la nature et les sources d’eaux thermales. Il fait bon vivre ainsi.
Lors de la dernière crise financière mondiale, l’Islande a pris une place importante – à plusieurs égards. La crise y a sévi encore beaucoup plus qu’ailleurs. En 2008, l’amoncellement de dettes était – au zénith de la crise – beaucoup plus élevé que dans les pays du sud de l’Union européenne. Alors que les dettes en Grèce s’élevaient à 175% du produit intérieur brut, les dettes de l’île atlantique (notamment celles des banques) étaient 10 fois supérieures au PIB, c’est-à-dire 1000% – donc un véritable scénario de catastrophe. Néanmoins, l’Islande se retrouve 7 ans plus tard relativement en bonne santé. Comment cela a-t-il été possible ?
Dans les années de la fin du millénaire, l’Islande se faisait remarquer par des taux de croissance très élevés. La raison n’était pas les fruits de la pêche, mais elle se trouvait ailleurs : les trois grandes banques s’étaient engagés dans un jeu risqué et avaient transformé l’île en une place financière globale. Elles attiraient, par exemple, des fonds d’épargne étrangers avec des taux d’intérêts surélevés et investissaient cet argent dans des placements financiers risqués dans le monde entier – dans un premier temps avec succès. Les managers des banques responsables se présentaient alors comme étant « modernes » et « ouverts » et rompirent avec les traditions de leur banque et de leur corps de métier. Mais, selon le proverbe : « Tant va la cruche à l’eau qu’elle finit par se casser. »
La cassure ou la chute arriva il y a 7 ans et entraîna très rapidement la faillite des trois grandes banques.
Le peuple montra la voie à suivre face aux dettes extérieures
Le traitement des dettes extérieures des trois banques islandaises était controversé. Selon la doctrine occidentale, l’Etat et les contribuables devaient, au moins en partie, en assumer la responsabilité. Il s’agissait avant tout des fonds dits Icesave. En tant que filiale en ligne de la Landsbanki nationalisée, Icesave avait attiré pendant plusieurs années, avec des intérêts élevés, de nombreux petits épargnants étrangers, dont l’argent n’était pas couvert par l’assurance islandaise des dépôts.
Avant tout la Grande Bretagne et les Pays-Bas, d’où venait la plus grande partie des fonds étrangers, exigèrent que l’Etat islandais rembourse ces fonds. Il s’agissait d’environ 4 milliards d’euros (environ 12 000 euros par habitant de l’Islande). Le gouvernement négocia avec les deux pays, qui accordèrent des taux bas et des délais de remboursement longs. Le Parlement islandais accepta le résultat des négociations et adopta, le 30 décembre 2009, une loi réglant les modalités de remboursement.
Mais le peuple islandais sortit alors dans les rues avec des casseroles et exprima son mécontentement face à la prétention de lui faire porter une responsabilité qui ne lui incombait pas. Les spéculateurs étrangers devaient eux-mêmes porter les conséquences de leurs actes. Après tout, ils avaient obtenu 10% ou plus pour leur argent.
« Est-ce moralement et juridiquement justifié, de simplement attribuer le risque à l’Etat et aux contribuables ? », demandaient les manifestants sur leurs pancartes et leurs tracts. L’initiative citoyenne Defence organisa des manifestations pour exprimer de rejet. Elle récolta plus de 60 000 signatures (sur 350 000 habitants) et exigea un référendum populaire. Les citoyens assiégèrent la résidence du Président de la République avec des feux de Bengale rouges, exprimant ainsi de manière on ne peut plus claire sa volonté de dire « Stop ! » à cette politique.
Le président de la République d’Islande, Olaf Ragnar Grimsson.
Le président de la République, Olaf Ragnar Grimsson, entendit la voix du peuple et convoqua le référendum : « Le principe qui régit notre Etat islandais veut que le peuple soit le juge suprême de la validité des lois. J’ai donc décidé, de conformité avec la Constitution, de transférer la décision sur la loi en question au peuple. » En mars 2010, 93% des votants dirent non au paiement des dettes bancaires par l’Etat.
La Grande-Bretagne et les Pays-Bas étaient alors, faute de mieux, prêts à renégocier le remboursement des dettes bancaires. Dans un nouvel accord, l’Islande obtint des concessions supplémentaires et des allégements de paiement. Le remboursement fut prolongé jusqu’en 2046, si bien que la prochaine génération en serait elle aussi concernée. Le Parlement islandais accepta. Le président de la République convoqua un nouveau référendum populaire. En avril 2011, le peuple rejeta également la nouvelle proposition. Que faire ?
Les Islandais résolurent leur problème bancaire de la manière suivante :
- les trois grandes banques durent annoncer faillite ;
- la Landsbanki, avec sa banque en ligne Icesave, fut nationalisée ;
- les deux autres banques furent divisées en une « New Bank » et une « Old Bank » ;
- la Nouvelle banque, dotée de nouveaux capitaux, hérita des domaines d’activité nécessaires à l’intérieur du pays, tels les opérations de paiement, les distributeurs automatiques de billets, un service « crédit », etc. ;
- la Vieille banque hérita des immenses amoncellements de dettes et de toutes les affaires étrangères, avec quantité d’actifs douteux qu’on liquida lors d’une procédure de faillite.
De cette manière, les guichets purent rester ouverts et les distributeurs automatiques de billets continuèrent à fonctionner. Les banques furent rebaptisées : l’ancienne banque Kaupthing s’appelle aujourd’hui Arion, l’ancienne Glitinir s’appelle actuellement Islandsbanki. Les trois banques, aujourd’hui partiellement aux mains de sociétés étrangères, se bornent maintenant aux opérations bancaires traditionnelles à l’intérieur du pays.
Cette procédure de faillite nous rappelle à la déconfiture de la Swissair, suite à laquelle il avait fallu fonder une nouvelle petite entreprise – la Swiss, aujourd’hui sous contrôle de Lufthansa – et liquider les actifs restants de l’ancienne société ainsi que l’importante accumulation de dettes au moyen d’une procédure de faillite.
Maîtriser le quotidien et garantir la reprise
La vie en Islande était difficile depuis le début de la crise. La couronne islandaise perdit de sa valeur. Les prix augmentèrent. Les salaires réels baissèrent. La vie renchérit. Le chômage augmenta. La performance économique avait déjà baissé de 7% en 2009. Le gouvernement eut besoin d’un crédit du FMI, à hauteur de 10 milliards de dollars, pour survivre à ces temps difficiles. Comme d’habitude, le FMI posa ses conditions. Le gouvernement gauche-vert refusa cependant une politique de liquidation dans le domaine social mais réussit tout de même à remplir le programme du FMI.
Des pays amis, tels la Norvège et la Suède, apportèrent des aides en argent. On augmenta les impôts pour les habitants, la progression de l’impôt sur les revenus fut accentuée et une série de mesures peu orthodoxes furent adoptées pour réduire les dettes. Par exemple, tous les crédits liés à des monnaies étrangères furent déclarés illégaux. Le gouvernement islandais offrit aux entreprises des programmes spéciaux de restructuration de leurs dettes. Pour les crédits immobiliers il y eut des réductions des dettes. Les petits propriétaires obtinrent des allégements des paiements. Pour protéger la monnaie et empêcher la fuite de capitaux, le gouvernement établit des contrôles, qui sont toujours en vigueur, sur la circulation des capitaux. Les personnes privées voyageant à l’étranger ne peuvent changer qu’un nombre limité d’euros.
Le FMI respecta les démarches du gouvernement. Plus encore – il demanda au ministre islandais des Finances Steingrimur Sigfusson, s’il ne voulait pas devenir le responsable principal du FMI pour la Grèce, proposition que Sigfusson refusa.
La crise en Islande n’a pas duré longtemps. La politique énergique, soutenue par le peuple, montra rapidement des résultats. Le tourisme et l’industrie de la pêche profitèrent massivement de la monnaie faible. L’Islande devint bon marchée. Elle importa moins de biens de consommation chers. En revanche, elle produisit davantage à l’intérieur du pays. Trois ans après la chute de 7% de 2009, il y eut une augmentation de 3% – un taux plus élevé que la moyenne de l’Union européenne. L’inflation disparut et le taux de chômage se trouve aujourd’hui à 4% – comme en Suisse. Il n’y a plus de chômage des jeunes, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, où ce fléau atteint des dimensions catastrophiques. L’agence de notation Fitch a revu à la hausse ses estimations sur la solvabilité de l’Islande, ce qu’elle a explicitement justifié par « la réussite atteinte suite à des réponses peu orthodoxes à la crise ».
En outre, en 2013, la décision de la Cour de justice de l’AELE – qui prit cette fois-ci une décision au profit du peuple – fut de grande utilité car elle rejeta la responsabilité de l’Etat pour les dettes bancaires étrangères.
Un succès sur fond de souveraineté et de démocratie directe
Pourquoi l’Islande s’est relevée si rapidement de la crise ? La volonté populaire fut décisive. Les Islandais n’ont pas seulement pris les bonnes décisions lors de deux référendums. Ils ont également participé activement aux événements et toujours de manière non-violente. Sur des sites internet originaux, la population a su rejeter les manœuvres britanniques visant à classer les Islandais comme des terroristes afin de pouvoir geler leurs comptes bancaires au Royaume-Uni. Les Islandais ont su en outre retrousser leurs manches et relancer l’économie nationale.
Les trois « nouvelles » banques, massivement réduites, y accomplissent aujourd’hui leurs tâches traditionnelles.
La population islandaise a aussi empêché que les managers responsables du dérapage des banques reçoivent, comme c’est le cas ailleurs, des indemnités de départ fabuleuses en quittant leurs postes. Bon nombre d’entre eux font face aujourd’hui à des procédures judiciaires. Une commission d’enquête parlementaire établit un rapport de 2 000 pages, qui désigne un petit groupe d’environ 30 responsables de banques ainsi que des membres du gouvernement et des fonctionnaires de la banque centrale comme principaux responsables de la débâcle financière. La Cour suprême a récemment prononcé contre 4 d’entre eux des peines de prison allant de 5 à 6 ans de prison pour des manipulations frauduleuses du marché et abus de confiance. Il s’agit là des peines les plus sévères jamais prononcées en Islande en matière de criminalité économique.
En outre, la monnaie islandaise fut décisive pour le sauvetage du pays : la dépréciation massive de la couronne islandaise n’a pas mené le pays au naufrage qu’avaient auguré certains prophètes financiers l’avaient prédit mais ce fut la condition préalable décisive pour une guérison rapide. Aujourd’hui, la couronne islandaise s’est stabilisée à environ 30% en dessous de sa valeur d’avant la crise. D’autres pays pourraient s’en inspirer ! Pour un membre de la zone euro, l’abandon de la monnaie commune constituerait la clef ouvrant la porte à une solution similaire à celle de l’Islande.
Le succès de la voie islandaise pour sortir de la crise bancaire se distingue fortement de la voie centraliste de l’Union européenne, dirigée d’en haut, si attachée au sauvetage des banques et à la « gestion des dettes », qui maintien artificiellement en vie les banques en faillite et en rend responsables les contribuables.
L’Islande a clairement contredit l’idée selon laquelle il n’y aurait pas d’alternative au sauvetage des banques dites « Too big to fail ». Et même si la voie de l’Islande ne pouvait pas être copiée telle quelle pour d’autres pays, elle devrait les inspirer quand même à chercher courageusement des voies nouvelles. Elle montre aussi, comment un petit pays, ayant sa propre monnaie, peut garder sa place dans le monde globalisé de la finance. Le retrait de la demande islandaise d’adhésion à l’Union européenne en est la conséquence logique.
Les problèmes financiers ne peuvent pas être résolus par une petite élite et à huis-clos. La population et les contribuables doivent pouvoir aider de manière constructive à trouver la voie du succès. Le fait que le FMI ait demandé au ministre islandais des Finances d’aider à maîtriser la crise de la dette en Grèce parle de lui-même.
Werner Wüthrich