Pour certains, le coma est profond !
"We are the world" sur les lieux du massacre à Berlin: le padamalgam dans toute sa splendeur...
« Ils sont là, épaule contre épaule, Allemands de souche et réfugiés, dans une alternance de couleurs presque parfaite. Ils sont là et ils chantent « We are the world », qui est devenu, avec « Imagine », l’un des hymnes du pacifisme bêlant, celui du mouton qui absout le boucher. Ils sont là et ils chantent, opposant à la violence islamiste un rempart dérisoire, cependant que dans les coffres réfrigérés d’une morgue berlinoise, douze corps attendent d’être libérés, avant de rejoindre leur tombeau et de voir se déverser à gros bouillons les pleurs jamais taris de ceux qui les ont aimés dans cette vie. Ils chantent, alors que quarante-huit des leurs se tordent de douleur sur un lit d’hôpital. Pour certains de ceux-là, l’existence ne sera plus qu’un long cortège de misères. Pour tous, les nuits seront profondes et peuplées de démons.
Et tandis qu’ils chantent, un peu partout dans le monde, des bougies s’allument, les appels à la fraternité et à la tolérance se multiplient, les réseaux sociaux se couvrent de drapeaux allemands en berne, d’invitations à ne pas confondre l’islam avec l’islam.
Et puis, bien entendu, il y a ces panneaux qui nous sautent au visage jusqu’à la nausée, ces panneaux qui sont comme la manifestation visible de l’impuissance. « Je suis Berlin », comme hier j’étais Nice, Bruxelles, Paris, ou Charlie qui vit l’apparition de cette pseudo-solidarité imbécile. « Je suis Berlin » et puis je retourne à mes cadeaux de Noël, je retourne me préparer à la grande bouffe du jour de la Nativité, aux plaisanteries grasses de l’oncle Georges et au crêpage de chignon annuel de ma tante et de ma mère, une fois que le vin a rosi les joues et que les frustrations de l’enfance ressortent au grand jour. C’est cela, c’est cette comédie vulgaire et dégoûtante que l’on appelle « continuer à vivre ». C’est ainsi qu’un Occident, fatigué d’être soi, lutte contre le terrorisme, par la cécité et la consommation.
Surtout ne parlons plus de Noël, évitons de parler de nativité pour ne pas choquer nos amis musulmans. Noël, c’est désormais « Plaisirs d’hiver ». Merci au socialisme ! A Bruxelles, ville inventive entre toutes, a trouvé la parade : le « Marché de Noël » a cédé la place aux « Plaisirs d’hiver ». Cyrano de Bergerac plaçait au-dessus de tout l’honneur d’être une cible, la capitale belge, au reste incomprise sur ce point par la plupart de ses habitants, résiste en rampant. Pour n’être pas frappés, devenons invisibles, renions en catimini tout ce qui fait notre identité, offrons-nous à l’autre comme à une nouvelle et insurpassable divinité, proclamons l’Amour universel et l’Amour universel adviendra.
Quel répugnant aveuglement, cependant, que celui de l’Occident. Dans « Seven », le film de David Fincher, un psychopathe s’efforçait de mettre les enquêteurs sur sa piste. Chacun de ses meurtres correspondait à l’un des sept péchés capitaux. Comment ne réalise-t-on pas que les djihadistes adoptent eux aussi une démarche symbolique et visent tout ce que, chez nous, ils haïssent. Charlie ? A bas la liberté d’expression si l’islam en est l’objet ! Le musée juif et le marché de Noël ? Mort aux autres religions, celles des « croisés » et des « sionistes » en particulier ! Le Bataclan, le stade de France, l’aéroport de Bruxelles ? Au diable la civilisation des loisirs ! Nice ? Que l’ancien colon soit frappé au cœur même de sa célébration patriotique ! Et demain ? Une école de filles ? Un parlement ? Un président de la République ou un Premier ministre ?
Et, nous, que faisons-nous ? Nous chantons, nous pleurons, nous allumons des bougies, nous mettons des bandeaux, nous appelons à la tolérance et à la raison, comme s’il s’agissait d’éduquer un enfant turbulent. Les politiques, de tous poils, de tous bords et de tous pays, proclament à chaque instant que nous sommes en guerre, sans d’ailleurs désigner l’ennemi. Ou pour mieux dire, le seul véritable ennemi, c’est l’amalgame. Nos peuples semblent vieux, las, alanguis, confits dans la graisse, vautrés dans l’inaction, avachis dans un bien-être petit bourgeois, tandis qu’en face, se trouvent des loups efflanqués, jeunes, affamés, fanatiques, n’ayant rien à perdre, pour qui la mort est une consécration. Et comme nous sommes devenus veules, comme nous préférons vivre courbés à en raser le sol plutôt que de mourir debout, nous nous exonérons de notre impuissance, tantôt par une piteuse commodité, tantôt par dévotion sincère, en récitant les articles de foi de la Religion des droits de l’homme, nouvelle vache sacrée de démocraties à leur crépuscule. La belle affaire ! L’arme redoutable que voilà ! Et qui ne communie pas avec les Grands Prêtres est populiste, ce qui est un autre mot pour apostat. L’inéluctabilité des migrations, le devoir d’accueil, l’injonction d’Amour ne se discutent pas. « La question ne sera pas posée » répondait invariablement le président du Conseil de guerre à l’avocat de l’infortuné capitaine Dreyfus.
A la vérité, le choix est aussi simple que cornélien. Nous devons nous résoudre à vivre terrés ou la peur au ventre, à proclamer l’islam religion d’Etat ou à lutter. Et la lutte, figurez-vous, ne s’accommode pas de la pieuse observance de la Religion des droits de l’homme. Comme l’écrit le professeur Harouel, « Sécularisant et falsifiant en même temps l’idéal d’amour de la cité céleste, la religion séculière des droits de l’homme enferme les Européens dans un marché de dupes. Les astreignant vertueusement à un amour unilatéral de l’autre – et tout particulièrement l’étranger incarnant la sainte humanité -, elle les contraint à renoncer à tout ce qui assure la survie de la cité terrestre : préservation de l’identité de chaque société humaine, défense de ses intérêts, amour de la patrie, pérennité de la famille, organisation de la sécurité, exactitude de la justice » (Jean-Louis Harouel, Les droits de l’homme contre le peuple, Desclée de Brouwer, 2016).
Cette guerre contre le terrorisme, qu’on invoque plus qu’on ne la mène, ne sera pas gagnée par une débauche d’amour et de tolérance, mieux vaut s’en rendre compte. Et si l’on se refuse à agir de la seule façon possible, alors il faut se résoudre à allumer des bougies, à chanter et à mettre les drapeaux en berne pour de longues années encore. Il faut se résoudre, surtout, à voir périr des innocents, à déplorer des vies fracassées, des familles dévastées et des rues ensanglantées. Demain, votre fils ? Votre fille ? Mes enfants? »
Philippe Egger