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dimanche 29 octobre 2017

Personne remarquable : Madame Rojda Felat




La commandante des Forces démocratiques syriennes qui a triomphé dans l’ex-«capitale» du califat est une militante de longue date pour les droits des femmes. De toutes les femmes.

Elle affiche un sourire rayonnant aux côtés de dizaines de camarades de combat, sur le rond-point Al-Naïm, agitant un énorme drapeau jaune portant le nom de sa milice. «C’est ici que Daech décapitait des personnes innocentes accusées de refuser de servir l’Etat islamique (EI)», expliquait Rojda Felat, la commandante des Forces démocratiques syriennes (FDS) qui a dirigé «Colère l’Euphrate», les opérations sur la ville de Raqqa, en Syrie. Cette cité qui a enfin été libérée après avoir servi, des mois durant, de base arrière aux djihadistes et que l’EI avait proclamée capitale de son «califat» terroriste.

Pour Elle, qui a brossé son portrait en août dernier, c’est «la femme qui fait trembler Daech» depuis des mois. Le magazine écrivait notamment que «lorsque la douce voix de Rojda Felat s’élève dans la salle de commandement militaire, […] tout le monde, sans exception, l’écoute religieusement.» Son rôle a été «immense»: «C’est un honneur mais c’est une très grande responsabilité que de diriger la bataille contre la «capitale» de Daech. […] L’Etat islamique n’est pas un ennemi comme les autres. Il est fort, bien organisé et a son idéologie qu’il tente de diffuser. L’enjeu n’est pas seulement militaire», poursuivait la commandante kurde, qui se dit musulmane et croyante.


Une femme, donc, la mi-trentaine, qui s’affirme comme féministe et se dit grande admiratrice de figures comme la théoricienne et révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg (1871-1919), l’activiste kurde Leyla Qasim – exécutée sous le régime de Saddam Hussein en 1974 – ou Sakine Cansiz, une des fondatrices du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), assassinée à Paris en 2013. Précisément l’année où Rojda Felat s’engage militairement sur le terrain. A L’Obs, elle a aussi dit «s’inspirer de Napoléon et de Saladin», le premier dirigeant de la dynastie ayyoubide, qui a régné en Egypte aux XIIe et XIIIe siècles. Elle commandait la bataille de Raqqa depuis le mois de juin, à la tête de 10 000 combattants.

Et Elle de rappeler ses combats passés. «La jeune femme vient d’un milieu engagé. En mars 2004, des émeutes éclatent dans sa ville, provoquées par des incidents dans le stade de football: les supporters d’une équipe arabe avaient brandi des portraits de Saddam Hussein pour provoquer leurs hôtes kurdes, les pierres avaient volé et la situation dégénéré. Rojda est parmi les manifestants. Ce sont les premiers soulèvements syriens contre le régime de Bachar el-Assad pour une reconnaissance de leur citoyenneté.»

Mais ensuite, «l’ascension de Rojda Felat dans le contexte chaotique de la guerre en Syrie n’est pas due qu’à ses talents de meneuse et à son sens de la stratégie militaire. Le féminisme est au cœur du projet kurde syrien. […] La parité stricte est imposée dans toutes les institutions civiles mises en place depuis 2012. Au sein des forces armées aussi, les femmes ont toute leur place.» Elle «qui ne se déplace jamais sans sa garde rapprochée, deux jeunes femmes d’à peine 25 ans» – elle a toujours aussi sa kalachnikov à portée de main et ne dort que cinq heures par nuit, précise Le Point – «est le pur produit de ce féminisme révolutionnaire en armes». Voilà pourquoi elle a dit au site Al-Monitor n’avoir jamais rencontré le moindre problème en tant que femme engagée sur le terrain.

«Chaque ville libérée, nous la rendons au peuple»

Rojda Felat assiégeait Raqqa depuis huit mois: «L’objectif n’est pas que militaire, disait-elle encore à Elle. Nous installons un conseil civil pour réorganiser la société et la vie des habitants, afin de rouvrir les écoles… Chaque ville que nous libérons, nous la rendons au peuple pour qu’il l’administre lui-même. Une attention particulière sera évidemment portée aux femmes, qui ont payé un lourd tribut dans ce conflit. Les Yézidies, réduites sous le joug des djihadistes à l’état d’esclaves sexuelles, mais aussi les femmes arabes.» De quoi impressionner cette journaliste de RTL:

Cette «féministe radicale» dans l’enfer syrien, est «à l’avant-garde d’une mutation culturelle qui doit conduire à la pleine reconnaissance des droits et des aspirations des femmes issues de tous les groupes ethniques en Syrie», précise La Repubblica. Pour Rojda Felat, d’ailleurs, les femmes occidentales aussi ont besoin depuis longtemps que «le système capitaliste cesse de les considérer comme des objets». En pleine tourmente Weinstein, il est plutôt piquant de constater que «ces objets sont parfaitement capables de conduire les hommes à la victoire, dit-elle. Dans l’armée, nous sommes souvent regardées avec condescendance», mais les combattantes, en réalité, effectuent exactement les mêmes tâches que leurs pairs masculins.

Et maintenant? Elle juge aussi dans Elle «que ce n’est pas aux hommes de protéger les femmes mais aux femmes de se protéger elles-mêmes». Après la libération de Raqqa, «une fois les esclaves affranchies de leurs bourreaux, ma mission se prolongera auprès de ces femmes», promet-elle: «J’aimerais me consacrer à une académie qui leur soit destinée, pour éduquer les femmes de cette région». […] La bataille n’est pas encore terminée», mais Rojda Felat a d’ores et déjà gagné celle des cœurs.

Rojda Felat personnifie la libération de Raqqa. Fera-t-on d’elle aussi une icône féministe? Cette jeune femme incarnera-t-elle non seulement une victoire armée mais aussi un poing symboliquement levé en faveur des femmes?

Daech tremble

En novembre 2014, déjà sur France Inter l’émission Les femmes, toute une histoire donnait un élément de réponse: «Comment ne pas se réjouir en voyant les images des femmes kurdes qui, aux côtés des hommes, se battent contre l’Etat islamique? Des femmes dans le même uniforme qu’eux, avec les mêmes armes, tête nue, les cheveux en queue de cheval… On nous dit qu’elles n’ont peur de rien, que leur seule présence fait fuir les combattants de l’Etat islamique. La réalité est sans doute plus complexe. Mais propagande contre propagande, le message de ces femmes kurdes fait davantage rêver.»

Jamais sans son arme

Sur Twitter, Max Power confirme: «Les féministes radicales gagnent cette guerre.» L’idée est partagée par La Repubblica, qui voit en Rojda Felat le porte-flambeau d’un «féminisme radical dans l’enfer syrien, à l’avant-garde d’une mutation culturelle qui doit conduire à la pleine reconnaissance des droits et des aspirations des femmes issues de tous les groupes ethniques en Syrie». Quant au magazine Elle, qui a brossé son portrait en août, il la présente comme «la femme qui fait trembler Daech».

Ces admirations soulèvent d’autres questions. La publication de son image répond-elle à un stéréotype que le public occidental aimerait opposer aux hommes barbus de l’Etat islamique? Et, dans le contexte de l’affaire Weinstein, à quel point l’image d’une femme victorieuse est-elle une lueur d’espoir que les esprits du monde entier veulent entretenir précieusement?

Rojda Felat ne se sépare jamais de son arme. Pas même pour poser devant l’objectif de Joey Lawrence. Sont-ce les tons de l’image et les douces lumières qui caressent son visage qui rappellent certains clichés du commandant Massoud? Ou est-ce ce regard à la fois las et déterminé qui y invite?

Si ce n’est pas un symbole qui est en train de naître, c’est, le cas échéant, sans doute l’effigie potentielle de futurs posters, t-shirts et autocollants que la libération de Raqqa a dévoilée.

Olivier Perrin