En 1998, lors de travaux d’excavation pour un parking, des ouvriers ont découvert à Coire des traces d’activités humaines datant d’environ 11’000 ans avant J.-C.
La capitale du canton des Grisons affirme avoir au moins 11'000 ans d’âge. Si c’est avéré, la ville serait alors aussi vieille, voire plus que Jéricho au Proche Orient, admis comme un des plus anciens sites occupés sans discontinuer au monde. La revendication de Coire est-elle solide?
Si vous visitez la partie ancienne de Coire pour la première fois, une suggestion: gardez le plan dans votre poche et perdez-vous un peu. Flânez le long des ruelles pavées et sinueuses (les voitures n’y ont pas accès) et vous tomberez sur des bâtiments anciens superbement préservés, avec leurs façades peintes riches en détails, leurs cours cachées, leurs portes et leurs horloges finement décorées. C’est là aussi que vous trouverez la robuste église St-Martin, construite au 15e sur les restes d’un temple roman plus vieux de sept siècles, avec ses vitraux d’Augusto Giacometti.
Au Musée Rhétique, on peut aussi voir de fascinants témoins du passé, et le quartier regorge de petits cafés, de boutiques et d’hôtels. Les maisons les plus anciennes sont celles qui ont survécu au grand incendie de 1464, qui détruisit la plus grande partie de la ville.
Mais Coire est bien plus vieille, à en croire son Office du tourisme. En 1998, des ouvriers travaillant à creuser pour un parking ont mis à jour des vestiges archéologiques remontant à 11'000, voire 13'000 ans. Ce qui vaut à Coire d’être fréquemment nommée «la plus vieille ville de Suisse». Elle aurait 2000 ans de plus que Jéricho.
A l’autre extrémité de la Suisse toutefois, dans la ville de Neuchâtel, les archéologues ont trouvé des traces de présence humaine encore plus vieux, datant de près de 15'000 ans. Pourtant, Neuchâtel ne prétend modestement dater que de 1011, avec la première mention du nom latin «Novum Castellum» (nouveau château).
Alors, Coire ou Neuchâtel – ou une autre ville de Suisse – peut-elle vraiment prétendre défier Jéricho?
Il est vrai que Coire «a certainement livré quelques-unes de trouvailles archéologiques les plus anciennes du pays», confirme le professeur Philippe Della Casa, de l’Institut d’archéologie de l’Université de Zurich. Mais elles proviennent «de campements temporaires, pas d’établissements sédentaires».
Pour être appelé «ville», un site doit remplir certains critères, explique l’archéologue. Soit «administration centralisée, plan et architecture complexes, structure sociale organisée et artisanat spécialisé». Selon ces critères, «Coire n’est certainement pas la plus ancienne ville de Suisse, vu que les villes en tant que telles n’émergent pas dans notre pays avant l’âge celtique du fer, au milieu du premier millénaire avant J.-C.»
De même, les plus anciens vestiges trouvés sur le rivage de Neuchâtel proviennent de «camps nomades de chasseurs-cueilleurs», explique Marc-Antoine Kaeser, professeur d’archéologie à Neuchâtel et directeur du Laténium, le plus grand musée archéologique de Suisse, construit près du site où ces vestiges furent mis à jour. Dans le parc qui entourne le musée, on a reconstitué les maisons «lacustres» des hommes du néolithique qui vécurent là dès 3810 avant notre ère. Et à l’intérieur, le Laténium couvre 500 siècles d’histoire, à partir de Néanderthaliens.
Marc-Antoine Kaeser rappelle que les plus anciens établissements néolithiques identifiés à ce jour en Suisse l’ont été dans la Vallée du Rhône et en ville de Bellinzone, sur le versant sud des Alpes. Mais «on ne peut attester d’une vraie occupation en continu qu’à partir de l’époque romaine».
Philippe Della Casa pour sa part suggère que nous devrions considérer Zurich, Berne ou Bâle comme nos villes les plus anciennes. «Tous ces sites ont été des établissements fortifiés celtes dans la seconde moitié du premier millénaire avant J.-C.», rappelle-t-il.
Thomas Reitmaier approuve. Directeur du Service archéologique du canton des Grisons, basé à Coire, il trouve la question «assez délicate, mais généralement, l’apparition des premiers centres proto-urbains et urbains au nord des Alpes est datée du premier millénaire avant notre ère». Donc, il est «difficile de déterminer quelle est la plus vieille ville de Suisse».
Mais qu’en est-il de Coire?
«Les choses semblent claires: il y a des restes de campements de la première période paléolithique tardive (vers 12'000 avant J.-C.), et des premiers établissements à partir du néolithique (4500 avant J.-C.), jusqu’à l’occupation romaine et à la fondation d’un village, plutôt petit». Mais pour Thomas Reitmaier, «on ne devrait parler de ville de Coire qu’à partir du Moyen Age au plus tôt». Ainsi, les murailles n’ont été construites qu’au 13e siècle.
Intéressant à méditer en flânant dans les ruelles pavées du vieux Coire, dont le charme, lui, ne se discute pas. Peut-être que la ville entre dans la fleur de l’âge…
Bill Harby