Dans quelles professions rencontre-t-on le taux de suicide le plus élevé? La RTS s'est procuré la première étude suisse sur le lien entre suicide et travail. Sur 82 métiers examinés, 7 sont à risque pour les hommes et 4 pour les femmes.
Cette étude, la première du genre en Suisse, a été menée par Unisanté, le Centre universitaire de médecine générale et santé publique à Lausanne. Elle porte sur presque 6 millions de personnes et court sur 24 ans, de 1990 à 2014.
Il en ressort que trois professions présentent un risque suicidaire plus élevé que la moyenne, pour les femmes comme pour les hommes.
Il s'agit des soignants (infirmiers, sage-femmes, aide-soignants), des chauffeurs de transports publics -qui comprend également les conducteurs de taxi- et des manœuvres dans les industries manufacturières (autrement dit les ouvriers et ouvrières de production en usine).
En ce qui concerne les hommes exclusivement, il faut notamment ajouter le métier d'éleveur. Pour le sexe féminin, les artistes et les écrivaines, y compris les journalistes, passeraient plus fréquemment à l'acte que la moyenne.
On ne disposait avant cette étude que de très peu d'informations sur les liens entre travail et taux de suicide en Suisse. Une seule catégorie à risque avait été identifiée, celle des agriculteurs.
Emplois à risque très minoritaires
"On voit que sur les 82 emplois que nous avons regardés pour comparer le risque de suicide avec la population générale, seulement 7 emplois présentent un risque pour les hommes et 4 pour les femmes, et c'est un résultat très encourageant. Fort heureusement, ces emplois à risque sont minoritaires", commente Irina Guseva Canu, professeure d'epistémiologie professionnelle à Unisanté.
L'auteure principale de l'étude insiste sur le fait qu'on ne parle ici que de quelques cas de décès en nombre absolu pour les métiers évoqués -souvent moins de 10. Pour rappel, en Suisse, on recense en moyenne 1000 suicides par an.
L'étude d'Unisanté est avant tout descriptive. Il en faudra d'autres pour identifier et comprendre les raisons précises qui font que ces professions sont plus à risque que d'autres.
Des hypothèses avancées
Pour les conducteurs et conductrices de transports publics, Irina Guseva Canu avance tout de même une hypothèse. "Si on regarde l'enquête nationale menée par le syndicats du personnel des transports publics en 2011, ce sont des gens qui se plaignent plus souvent de maux de tête, de problèmes de sommeil, de maux de dos, qui sont exposés au stress, à des incivilités, à des contraintes horaires de plus en plus strictes", rappelle la chercheuse.
Et d'ajouter que chacun de ces éléments est un facteur de risque pour le suicide. "Le fait qu'ils se concentrent dans cette profession plus que dans d'autres est le reflet d'un métier qui n'est pas facile", résume Irina Guseva Canu.
Le métier de soignant est, quant à lui, identifié comme problématique dans de nombreux pays et la Suisse ne fait pas exception. La profession a le désavantage de cumuler plusieurs facteurs de risque pour la santé psychique et donc pour le suicide, notamment une grosse charge de travail, une faible latitude décisionnelle et un manque de reconnaissance.
Mais là encore, d'autres études seront nécessaires pour identifier les raisons précises de ce résultat dans notre pays.
Les chômeurs, groupe le plus à risque
Autre confirmation apportée par cette étude: travailler protège du passage à l'acte. L'étude montre que pour les hommes comme pour les femmes, le risque suicidaire augmente avec le fait d'être au chômage et dépasse celui des professions citées plus haut.
Cette recherche s'est aussi intéressée aux professions parmi lesquelles on répertorie le moins de suicides. En tête de liste on trouve le métier d'enseignant au niveau supérieur (à l'université ou dans les HES); viennent ensuite les cadres de l'administration publique puis les juristes, trois emplois hautement qualifiés.
De manière générale, l'étude montre que les professions à forte valeur ajoutée jouent un rôle protecteur contre le passage à l'acte. Voilà qui tord le cou à l'idée que les managers se suicideraient plus que d’autres. Même si le nombre de suicides a augmenté pour cette catégorie après 2007, il reste inférieur à la moyenne.
Un outil pour la prévention
"Le suicide est un événement multifactoriel", souligne Irina Guseva Canu. "Il est déterminé tout d'abord par l'état psychique de la personne, mais aussi par des événements critiques de la vie et, pour une partie, il peut être expliqué par des facteurs de risque professionnels. C'est à dire les mauvaises conditions au travail qui font que la personne passe à l'acte."
Or, ajoute professeure d'epistémiologie professionnelle, "ces facteurs sont plus faciles à prévenir qu'une mauvaise santé psychique ou des déterminants sociaux".
Les résultats de l'étude devraient donc intéresser les milieux de la prévention du suicide. Dans l'immédiat, la recherche a déjà suscité l'intérêt du secrétariat d'Etat à l'Economie (SECO).
Céline Fontannaz