Ceci est un trouble de la vision
Les troubles de la vision sont en augmentation partout dans le monde, particulièrement chez les enfants et les adolescents, vient de révéler l’Organisation mondiale de la santé. Notre pays n’échappe pas à cette tendance, qui inquiète les ophtalmologues.
Serons-nous tous condamnés, dans un futur proche, à porter des lunettes? Dans les consultations ophtalmologiques de Suisse romande, les spécialistes auscultent en tout cas de plus en plus de jeunes patients qui voient trouble, alors même que leurs parents n’ont aucun problème oculaire.
C’est notamment le cas aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), où la médecin-cheffe du service d’ophtalmologie, Gabriele Thumann, se montre alarmiste. «Il ne faut pas prendre cela à la légère, relève-t-elle. Nous voyons de plus en plus de bébés, d’enfants et d’adolescents qui présentent une myopie induite par leur mode de vie et pas par leur hérédité. Je suis certaine que, dans les années qui viennent, nous devrons faire face à un énorme problème, comme cela se passe en Asie depuis quelque temps.»
Le premier à parler d’une «épidémie» a été le scientifique australien Ian Morgan, qui a publié une étude en 2012, dans The Lancet, évaluant la prévalence de la myopie chez les jeunes asiatiques à près de 90%. Au Japon, en Chine ou en Corée du Sud, neuf élèves sur dix portent donc aujourd’hui des lunettes.
Depuis, la proportion n’a pas diminué, au contraire, comme le relève l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a publié le 8 octobre son premier rapport mondial sur la vision. Sur la planète, plus de 2,2 milliards de personnes présentent désormais des déficiences visuelles ou sont aveugles. Les pays en développement, où la prise en charge est moins bonne, sont particulièrement concernés. Mais les pays riches ne sont pas en reste: les problèmes de réfraction (myopie, hypermétropie, presbytie et astigmatisme) sont en augmentation.
2,6 milliards de myopes
«Une méta-analyse récente au niveau mondial révèle que le nombre d’enfants et d’adolescents atteints de myopie devrait augmenter de 200 millions entre 2000 et 2050», écrivent les auteurs du rapport. Ainsi en 2020, plus de 2,6 milliards d’êtres humains souffriront de myopie, prévient l’OMS. L’Europe est déjà touchée. Selon une large étude épidémiologique menée dans 15 pays publiée en 2015, la prévalence de la myopie est passée de 18% à 23,5% en un peu plus d’une génération – étant entendu que les chercheurs ont ici défini la myopie avec une dioptrie à partir de -0,75.
La Suisse ne dispose d’aucun système de monitoring de la myopie, mais l’enquête sur la santé menée entre 1992 et 2012 montre que, sur cette période, la part de la population portant des lunettes ou des lentilles de contact est passée de 59 à 64%. Une augmentation qui ne s’observe que chez les jeunes entre 15 et 39 ans, et qui correspond à la progression de la myopie dans cette classe d’âge.
Lumière naturelle
Comment expliquer cette explosion? «Les enfants d’aujourd’hui regardent plus d’écrans et lisent de plus près qu’avant. Cela induit la contraction d’un muscle qui déforme le cristallin. Pour éviter cela, l’œil va automatiquement grossir et provoquer une myopie», explique Thomas J. Wolfensberger, directeur médical et chef de service à l’hôpital ophtalmique Jules-Gonin. L’autre explication est liée à la lumière naturelle, qui est censée stimuler les cellules de l’œil qui contrôlent sa croissance. Comme les jeunes passent plus de temps à l’intérieur, ils y sont moins exposés et doivent donc porter des lunettes.
Pour éviter ce cercle vicieux, Thomas J. Wolfensberger recommande que les enfants passent au moins une heure par jour à l’extérieur – une mesure de bon sens, rendue obligatoire dans les écoles coréennes depuis quelques années. Cet effort ne vise pas seulement à éviter que les enfants, et les adultes qu’ils deviendront, portent des lunettes. Cela pourrait surtout leur permettre d’échapper à des maladies plus graves: «Les myopes ont des prédispositions accrues à des pathologies comme la cataracte, le glaucome, un décollement de la rétine, ou des maladies de la macula», indique Gabriele Thumann.
Lorsqu’un enfant risque de développer une myopie très haute, les ophtalmologues peuvent prescrire des gouttes d’atropine faiblement dosées afin de ralentir la croissance du globe oculaire. «Les études ont montré que cela pénalise l’accommodation des yeux de près, relève cette spécialiste. Mais cela peut éviter à des enfants qui ont une vision de -8 à l’âge de 8 ans, d’avoir -12 ou -13 plus tard, ce qui est un vrai handicap.» Pour elle, ce traitement ne doit en aucun cas être un blanc-seing pour laisser les enfants en permanence à l’intérieur, collés à leurs écrans, privés de la lumière du soleil.
Marie Maurisse