Nous avions listé, en avril dernier, dix questions parmi les plus pressantes liées à la pandémie. Avant de revenir sur le sujet quatre mois plus tard , dans la relative accalmie de l’été. Un an après l’apparition de l’épidémie, il est temps de faire un nouveau point sur ces grandes inconnues du covid. Comment ont évolué les divers consensus scientifiques sur le virus, sa transmissibilité, la maladie ou encore les médicaments? Les pièces du puzzle s’assemblent petit à petit, mais l’image finale reste encore hors de portée.
1. On ne sait pas comment a commencé l’épidémie
Ce que nous écrivions en août:
Le SARS-CoV2 est probablement issu de chauves-souris, mais il a dû transiter par un autre animal avant de passer à l’être humain. Cet «hôte intermédiaire» tarde à être identifié.
Ce que les scientifiques disent aujourd’hui:
L’hypothèse privilégiée est toujours que le SARS-CoV-2 a émergé chez des chauves-souris en Chine. De nombreux coronavirus circulent chez ces mammifères, dont certains ont déjà provoqué des épidémies chez l’être humain, comme le SARS-CoV-1 en 2002. Le virus a cependant dû transiter par une autre espèce avant d’acquérir la capacité à infecter les êtres humains. Or la recherche de cet «hôte intermédiaire» est toujours au point mort. Les analyses effectuées parmi les animaux vendus sur le marché de Wuhan, un temps pointés du doigt comme lieux de transmission du virus à l’humain, n’ont pas permis de l'identifier. «Tant que ce virus intermédiaire n’aura pas été identifié et son génome séquencé, la question de l’origine du SARS-CoV-2 restera non résolue», relève le virologue Etienne Decroly dans le journal du CNRS Pour lui, comme pour d’autres scientifiques, la possibilité que le virus soit sorti accidentellement d’un laboratoire ne peut pas être écartée. Des experts de l’OMS sont en mission en Chine depuis la mi-janvier pour tenter de démêler l’écheveau. Mais il n’est pas certain qu’ils y parviennent, plus d’un an après le début de la pandémie et dans un climat politique local qui ne favorise pas la transparence.
2. On ne sait pas comment se transmet le virus
Ce que nous écrivions en août:
Le SARS-CoV-2 voyage à bord des gouttelettes et des aérosols, mais dans des proportions inconnues.
Ce que les scientifiques disent aujourd’hui:
C’est le statu quo. Peu d’études importantes ont été publiées depuis l’été. «Les gouttelettes représentent la voie majoritaire, les aérosols sont un vecteur moindre», confirme Valeria Cagno, virologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne.
Les variants génétiques du coronavirus, notamment le B.1.1.7 et le V2, soupçonnés d’être plus transmissibles, ne devraient pas changer la donne. «Les variants sont considérés comme plus contagieux car ils possèdent une meilleure affinité pour les récepteurs cellulaires, et parce que leur émergence coïncide avec une recrudescence des cas, mais on manque de preuves pour affirmer que les voies de transmission ont changé dans un sens ou dans l’autre», ajoute la virologue.
Dans tous les cas, la question reste d’actualité, comme le rappelle le port de masques filtrants FFP2 récemment rendu obligatoire en Autriche et en Bavière. Il faudra plus d’études pour connaître précisément les voies empruntées par le virus, études complexes à mener d’un point de vue technique, notamment pour former des gouttelettes de manière standardisée.
3. On ne sait pas combien de temps dure l’immunité
Ce que nous écrivions en août:
Au cours de l’été, des études sérologiques conduites auprès de personnes ayant été en contact avec le SARS-CoV-2 permettaient de suggérer que les individus infectés développaient bien une immunité, sans qu’un consensus soit dégagé quant à la durée de celle-ci.
Ce que les scientifiques disent aujourd’hui:
Première bonne nouvelle: les recherches conduites jusqu’ici permettent d’affirmer que près de 95% des personnes ayant présenté un Covid-19 développent bel et bien des anticorps neutralisants. Plusieurs études scientifiques se sont également penchées sur leur persistance. «On sait que les titres d’anticorps spécifiquement dirigés contre le SARS-CoV-2 dépendent de la sévérité de la maladie. Des travaux récents, notamment conduits auprès des soignants des HUG, ont démontré que l’on arrivait encore à les détecter après six mois, même chez les personnes ayant développé une forme légère de la maladie», pointe Pauline Vetter, infectiologue au laboratoire de virologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Plusieurs éléments restent encore à éclaircir: «On ignore encore la quantité d’anticorps nécessaires pour éviter une réinfection, analyse Pauline Vetter. L’immunité cellulaire joue aussi un rôle dans la protection, et on sait, pour l’heure, qu’elle est encore présente après six mois.»
Il s’agira également d’étudier de près l’impact des variants 501Y.V2 et P.1, retrouvés en Afrique du Sud et au Brésil, sur de possibles réinfections au Covid-19. Tous deux sont en effet porteurs de la mutation E484K, qui pourrait être à l’origine d’une réduction du pouvoir neutralisant des anticorps, selon des études préliminaires.
4. On ne connaît pas encore précisément la mortalité
Ce que nous écrivions en août:
Les données à disposition durant l’été ne semblaient pas évoquer une surmortalité en Suisse, malgré quelque 1700 décès alors imputables au Covid-19. Piste évoquée à l’époque: de nombreuses victimes du SARS-CoV-2 étaient des personnes d’un âge très avancé, qui allaient probablement mourir dans le semestre écoulé.
Ce que les scientifiques disent aujourd’hui:
Tombés à la fin du mois de décembre, les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS) ne laissent planer aucun doute sur la surmortalité engendrée par le Covid-19 en Suisse en 2020. L’OFS prévoyait en effet environ 68 400 décès, toutes causes confondues, entre la fin du mois de décembre 2019 et le début de l’année 2021. La Suisse en a finalement enregistré plus de 75 900, soit 7500 disparitions de plus qu’attendu.
«Le taux de létalité du Covid-19 oscille aujourd’hui entre 0,5% et 1% des contaminations, analyse Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à la Faculté de médecine de l’Université de Genève. La mortalité est très liée à l’âge. Chez les plus de 80 ans, elle avoisine 25 à 50% en fonction du nombre de maladies pré-existantes, ce qui en fait une pathologie redoutable au grand âge. Pour les individus entre 50 et 70 ans, elle atteint 10% chez les personnes présentant des facteurs de risque comme du diabète, de l’hypertension ou de l’obésité – des maladies le plus souvent peu invalidantes qui concernent près de la moitié de la population de cette tranche d’âge, ce qui correspond à la létalité d’une maladie aussi sévère que le SRAS de 2003. Chez les personnes en dessous de 50 ans, la mortalité est de l’ordre de 1 pour mille, voisine de celle de la grippe. Enfin, chez les enfants hospitalisés en raison du Covid-19, une étude parue fin décembre a montré que la mortalité avait été dix fois supérieure à celle de la grippe saisonnière. Donc lorsque l’on entend que le Covid-19 n’atteindrait pas beaucoup les plus jeunes, il faut vraiment garder à l’esprit les connaissances récentes publiées sur le sujet.»
5. On ne sait pas quel médicament donner
Ce que nous écrivions en août:
Le Kaletra et l’hydroxychloroquine disqualifiés faute d’efficacité démontrée dans l’essai Solidarity, les hôpitaux suisses se sont majoritairement rabattus sur le remdesivir, un antiviral, et la dexaméthasone, un stéroïde anti-inflammatoire.
Ce que les scientifiques disent aujourd’hui:
La dexaméthasone est administrée aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) chez la plupart des patients hospitalisés, en accord avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, détaille dans un e-mail Caroline Samer, cheffe adjointe du service de pharmacologie et toxicologie cliniques de l’établissement. Chez ces personnes dans un état sévère ou critique, «il a été montré [qu’elle] réduit la mortalité et la nécessité d’une ventilation mécanique invasive», écrit-elle.
Un temps considéré, le remdesivir a été écarté, faute d’efficacité démontrée. «Aux HUG, il n’est plus un traitement systématique. Il reste une option thérapeutique discutée uniquement chez quelques patients sélectionnés», commente la pharmacologue.
D’autres traitements sont considérés. Caroline Samer cite le tocilizumab et les anticorps monoclonaux, dont elle attend les résultats des essais cliniques. Quant à l’ivermectine (un antiparasitaire) et la colchicine (un anti-inflammatoire antimitotique), deux molécules «miracles» actuellement en vogue dans les médias, Caroline Samer en relativise les propriétés: «Les preuves cliniques restent dans l’immédiat insuffisantes.»
6. On ne sait pas pourquoi certains cas sont si graves quand d’autres sont anodins
Ce que nous écrivions en août:
En grande partie incomprise, la piste de la surréaction immunitaire, notamment les orages de cytokines, est privilégiée.
Ce que les scientifiques disent aujourd’hui:
La science peine à expliquer comment certains restent asymptomatiques une fois infectés par le virus, quand d’autres développent des formes graves ou de longue durée. Les preuves convergent vers une réaction immunitaire contre l’organisme qui aggraverait le tableau clinique des patients. L’orage de cytokines, qui consiste en une suractivation de ces protéines chargées de la signalisation cellulaire pendant l’inflammation, fut une piste un temps privilégiée. Elle s’efface au profit du rôle que joueraient certains anticorps dirigés contre l’organisme, appelés autoanticorps. Une étude parue dans la revue Science en octobre estime ainsi que 10% des patients covid sévères posséderaient des autoanticorps dirigés contre l’interféron de type 1, une protéine stimulant la réponse inflammatoire. «Ces résultats suggèrent qu’il existerait chez ces patients une dérégulation de la réponse immunitaire innée, dans laquelle intervient l’interféron de type 1», explique Valeria Cagno. De quoi handicaper la réponse initiale de l’organisme, et déséquilibrer la réponse immunitaire acquise censée intervenir dans un deuxième temps. Une piste thérapeutique serait de cibler ces autoanticorps pour empêcher ces autoréactions, avance la chercheuse.
7. Le SARS-CoV-2 mute, mais cela semble sans conséquence
Ce que nous écrivions en août:
Il est normal que le SARS-CoV-2 mute et la majorité de ses mutations sont sans conséquence.
Ce que les scientifiques disent aujourd’hui:
La question est devenue brûlante avec l’apparition récente de plusieurs virus mutants ayant des caractéristiques préoccupantes. Parmi eux, le variant B.1.1.7 s’est propagé à grande vitesse au mois de décembre en Angleterre, où il semble être à l’origine d’une flambée des cas. Il serait environ 50% plus transmissible que les autres, et possiblement plus mortel. Deux autres variants, apparus indépendamment l’un de l’autre en Afrique du Sud et au Brésil, semblent, quant à eux, pouvoir échapper aux anticorps des personnes ayant déjà acquis une forme d’immunité. «L’apparition de telles lignées était en partie attendue, souligne le généticien François Balloux, professeur au University College de Londres. Elle signifie que les personnes vaccinées et celles qui ont déjà contracté la maladie pourraient être moins bien protégées, même s’il est probable que l’immunité dont elles bénéficient diminue tout de même le risque de symptômes graves de la maladie.» Les vaccins dits «à ARN», actuellement utilisés dans les campagnes vaccinales des pays occidentaux, ont l’avantage de pouvoir être facilement adaptés à de nouvelles souches du virus, si cela devait s’avérer nécessaire. Mais ce n’est pas le cas de toutes les technologies vaccinales.