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mardi 29 octobre 2024

Le lait pourrait devenir une denrée rare

 

L’Etat de Fribourg s’inquiète du désintérêt des agriculteurs pour la production laitière. Il compte mettre en place un plan d’action pour améliorer les conditions-cadres de la branche


Et si le lait devenait une denrée rare? Présenté ce lundi matin, le rapport agricole de l’Etat de Fribourg pour les années 2024 à 2029 pointe ce danger. La production reste soutenue mais en analysant les statistiques la tendance est là: dans le canton de Fribourg 1200 exploitations vivent de la production de lait, un chiffre qui baisse constamment.

Insatisfaction

Dévoilé en même temps que le rapport agricole, un sondage réalisé conjointement par Grangeneuve et la Fédération des sociétés fribourgeoises de laiterie (FSFL) montre qu’il y a péril en la demeure. Le niveau de satisfaction par rapport aux infrastructures est acceptable. Il l’est nettement moins par rapport à la qualité de vie. Les 197 producteurs ayant répondu se déclarent majoritairement insatisfaits de leur situation financière, de leur bien-être physique et mental, des relations sociales et du temps libre qu’il leur reste.

Pour Pascal Toffel, directeur de l’Institut agricole de Grangeneuve, «le bilan est négatif». Que ce soit pour la production fromagère, pourtant mieux rétribuée, ou celle du lait de centrale, le constat est le même: certains jettent l’éponge ou ne trouvent pas d’intéressés au sein de leur propre famille. «Nos cours sont pleins mais bien peu souhaitent ensuite se lancer dans ce secteur, très contraignant», explique Pascal Toffel.

L’avenir de la filière du lait est ainsi au cœur des préoccupations. «Le paysage fribourgeois repose essentiellement sur nos verts pâturages. Je ne veux pas être alarmiste mais dans un horizon de dix ans, il y aura moins de production laitière si nous ne faisons rien», poursuit le directeur de Grangeneuve. Président de la Fédération des sociétés fribourgeoises de laiterie (FSFL), Yves Nicolet confirme ces propos. «On s’est beaucoup préoccupé du bien-être animal, il est temps de se préoccuper du bien-être des humains», lance-t-il.

Des jeunes comme les autres

Le désintérêt s’explique par plusieurs facteurs. «Les jeunes agriculteurs ne sont pas différents des autres. Ils veulent aussi avoir une vie sociale», avance Pascal Toffel. Yves Nicolet pointe pour sa part la politique agricole de la Confédération. «Elle est surtout faite pour la production végétale», estime-t-il. Lui-même souffre des changements de directives. «Les paiements directs prévoyaient le versement d’une prime pour la sortie des vaches. Nous avons dès lors investi pour des infrastructures permettant la stabulation libre. Mais cette prime a été revue à la baisse.»

Un sondage national

Yves Nicolet annonce que les producteurs suisses de lait lancent cet automne un vaste sondage auprès de leurs membres afin de mesurer leur degré de satisfaction et de définir les domaines dans lesquels il est nécessaire d’agir. De son côté, le rapport agricole de l’Etat de Fribourg lance plusieurs mesures, inspirées par un atelier participatif sur la question.

La formation et la formation continue mettront davantage l’accent sur des notions de management, la communication auprès des consommateurs sera renforcée, notamment pour valoriser ce qui se fait en faveur de l’environnement. Une réflexion sera également menée pour soutenir la possibilité de remise des exploitations en dehors du cadre familial. Enfin, la qualité de vie doit aussi être améliorée dans la branche. Le rapport mentionne la mise en place prochaine d’un plan d’action qui aura pour objectif d’améliorer les conditions-cadres pour une production laitière durable dans le canton de Fribourg.

La place du robot

Un mot n’a pas été prononcé ce lundi matin, c’est la robotisation. Les robots de traite ont été bannis dans la filière du Gruyère pour des raisons de qualité du lait alors qu’ils sont autorisés dans la filière du Vacherin. Ils permettent pourtant un gain de temps, davantage de confort et de souplesse dans les horaires. «Mais c’est devenu un tabou», reconnaît Yves Nicolet, qui ne désespère pas. «Il faudra probablement attendre que la nouvelle génération s’implique dans les instances. Mais nous en reparlerons», assure-t-il.

Didier Castella montre le chemin

Production, recherche, sécurité alimentaire, ressources naturelles, exploitations familiales, outils de production, revenus: le rapport agricole 2024 de l’Etat de Fribourg doit servir de boussole pour ces prochaines années. Il a été publié ce lundi matin, à un moment clé.

L’année qui s’achève a en effet été marquée par une forte mobilisation de la base paysanne. Le secteur réclame notamment des prix justes, moins de charges administratives et davantage de stabilité dans la planification agricole fédérale dont dépendent les paiements directs. Le monde agricole s’est également mobilisé pour contrer plusieurs initiatives en faveur de l’environnement et pour une agriculture plus durable.

Maintenir la production

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat fribourgeois se positionne. «Produire mieux, oui – produire moins, non», lance Didier Castella. Un slogan qu’il a déjà servi pour faire comprendre que le canton comptait relever simultanément les défis environnementaux et économiques. «Nous avons les moyens d’améliorer notre impact environnemental sans péjorer la production et en garantissant des revenus corrects aux producteurs», assure le conseiller d’Etat directeur des institutions, de l’agriculture et des forêts.

Parmi les dizaines de mesures mentionnées dans le rapport, la plupart ont déjà été lancées dans le cadre du rapport agricole 2019, comme la promotion des circuits courts, le soutien à des projets innovants ou encore le renouvellement des infrastructures de Grangeneuve.

27 millions de francs, montant alloué par l’Etat de Fribourg à l’agriculture en 2023

Didier Castella admet que la marge de manœuvre du canton est restreinte. La transparence sur les marges de la grande distribution se discute au niveau fédéral, par branche, pour citer cet exemple. Les montants et affectations des paiements directs aux agriculteurs sont décidés par la Confédération. Les moyens cantonaux en faveur de l’agriculture se sont élevés à 27 millions en 2023, y compris pour l’administration.

Paiements directs. Le début des grandes manœuvres

De gros enjeux se profilent à l’horizon. La prochaine grande réforme de la loi fédérale sur l’agriculture entrera en vigueur en 2030 (PA30 +). La nouveauté? Elle s’inscrira dans un système alimentaire global. Toutes les branches seront concernées, en plus de l’agriculture. Les travaux ont commencé.

Les moyens mis à disposition seront le nerf de la guerre. Le Conseil d’Etat indique qu’il s’opposera à toutes réductions de l’enveloppe des paiements directs. Il souligne que les contributions de la Confédération pour l’agriculture sont restées stables au cours des quinze dernières années, alors qu’elles ont augmenté dans d’autres domaines. Elles sont ainsi passées de 5,9% à 4,1% du budget fédéral.

Le Conseil d’Etat souligne ainsi qu’en plaine, 46% des exploitations atteignent le salaire de référence, contre 27% dans la région des collines et 17% dans la région de montagne. Les subventions fédérales pour l’agriculture fribourgeoise s’élèvent à 191 millions de francs.

Magalie Goumaz

laliberte.ch