Dès qu’il a franchi la cuisine du restaurant gastronomique Le Pérolles, le chef Frédéric Martot a mis machinalement plusieurs imposantes casseroles sur le feu. Il est 8 h et nombre de plats, qui seront servis dans quelques heures, doivent mijoter longuement pour pouvoir libérer toutes leurs saveurs. À la tête de neuf personnes ce vendredi, le cuisinier a pour mission de préparer pas loin de 100 menus avec sa brigade. «C’est ça, la plus grande difficulté, confie-t-il, gérer les quantités.»
Car le festin qui se prépare dans l’établissement étoilé à deux pas de la gare de Fribourg est gargantuesque. Ici, les réjouissances se célèbrent de jeudi à samedi depuis de longues années. La clientèle arrive vers midi et repart dans la soirée: 22 heures pour les plus téméraires.
La viande à l’honneur au Pérolles
Au départ, la bénichon était une fête religieuse qui célébrait la bénédiction de l’église paroissiale, avant de devenir une fête rurale marquant la fin des récoltes et la désalpe. Mais Frédéric Martot n’est pas tombé dans cette marmite-là étant enfant. En arrivant en Suisse, le cuisinier d’origine bretonne et martiniquaise a d’abord été initié à la fête populaire jurassienne de la Saint-Martin par le chef Georges Wenger au Noirmont avant de découvrir la tradition fribourgeoise.
«C’est uniquement autour du cochon que se décline la fête de la Saint-Martin en novembre. La bénichon, elle, propose du jambon mais aussi du bœuf et de l’agneau.» D’ailleurs, le plat préféré de Frédéric Martot au menu de ce jour est le parmentier d’agneau et sa sauce aux raisins de Corinthe. Si les plats traditionnels sont revisités, les marqueurs de la bénichon sont bien présents. Au menu: cinq plats (y compris l’apéritif), dont un pot-au-feu et une selle d’agneau, suivis de fromages fribourgeois avant de terminer avec de nombreuses douceurs (crème double, mignardises).
La brigade s’affaire dans une ambiance calme et studieuse. Les gestes pour garnir de petits cannellonis de betterave avec une farce de champignons sont minutieux. Tout doit être prêt à 11 h, car la brigade doit manger avant l’arrivée des premiers convives.
300 bricelets de la bénichon à réaliser
Depuis plus d’une heure, de délicates odeurs s’échappent des casseroles. Les poires à Botzi caramélisent sagement dans leur sirop, mais elles manquent d’eau. Parée de boucles d’oreilles au motif de la désalpe, Olivia y remédie. La principale tâche de la jeune Fribourgeoise – apprentie de 3e année – consiste à préparer 300 bricelets. Elle s’y est déjà mise mercredi, explique-t-elle, et elle n’en a «plus» qu’une centaine à réaliser. Son coup de main est indéniable: elle roule avec précision les biscuits tout juste sortis du fer à bricelet pour leur donner leur aspect de petit tube.
En salle, les tables sont presque prêtes. L’équipe a enfilé la chemise bleue d’armailli. La patronne, Françoise Ayer, a opté pour une robe traditionnelle. Son époux, en revanche, a gardé sa veste de cuisinier d’un blanc immaculé. En cuisine, Pierre Ayer s’occupe des petites cuchaules qu’il faut encore napper de beurre et de moutarde de Bénichon. «Pour moi la bénichon, c’est le partage. Le fait de manger en famille. La tradition. La danse. Le chant.»