Nouvel hôtel juste en face du château, parking souterrain à côté du bourg, nouvelle ligne de train pour relier la cité médiévale à Lausanne, zones industrielles en expansion, Gruyères et sa région voient pleuvoir les projets.
Un, deux, trois, et ainsi de suite jusqu’à plusieurs dizaines. Les chantiers poussent comme des champignons aux alentours du célèbre château de Gruyères, bâti au XIe siècle et qui fait aujourd’hui partie des monuments d’importance nationale. Si le projet de golf à Broc et l’idée d’une manufacture de l’horloger Franck Müller n’ont pas été réalisés, les projets plus ou moins connus fourmillent actuellement (voir infographie). Annoncée en octobre, l’implantation future d’une usine de fabrication des macarons Ladurée à 1 kilomètre de la bâtisse médiévale sur la commune de Bas-Intyamon (LT du 29.10.2010) n’est en fait que la pointe de l’iceberg.
La promenade débute au pied de la colline du château. Une butte protégée sur laquelle la plupart des constructions sont interdites pour préserver la carte postale du château depuis la sortie de Bulle, avec les montagnes en arrière-fond. Dans cette zone en forme de triangle, pour respecter le coup d’œil, il faut montrer patte blanche.
Là au bord de l’Albeuve, un cours d’eau qui vient du pied du Moléson, un projet hôtelier et para-hôtelier (appartements) de 4 niveaux se dessine pile en face au château. Plusieurs projets avaient échoué au fil des temps, mais celui-ci semble mieux parti et les autorités ont déjà été consultées. Il aurait la forme de deux équerres face à face. L’une d’elles, d’un seul étage, accueillerait un restaurant et des commerces.
«Des commerces de proximité, de goûts et terroir», note Jean-Claude Brodard, l’entrepreneur gruérien à l’origine du projet. Le projet n’a pas encore été mis à l’enquête, mais plusieurs services cantonaux planchent déjà dessus. L’entrepreneur n’a reçu aucune réponse, mais, de source proche du dossier, le service des biens culturels (SBC) émettrait des doutes. Une information sur laquelle le SBC ne souhaite pas s’exprimer.
Si des inquiétudes naissent dans la région, c’est que la construction d’un centre commercial Migros sur la commune de Bulle avait fait jaser il y a quelques années. Très visible depuis le château, il affiche des murs blanc et noir, comme un code-barres géant. Syndic de Gruyères, Jean-Pierre Doutaz ne l’apprécie pas guère.
Attablé devant une croûte au fromage dans un restaurant du bourg, il estime que «la première ressource économique de la Gruyère, ce sont ses paysages. Nous voyons le développement d’un bon œil, mais il doit être harmonieux.» En ligne de mire également: la Maison du Gruyères et son architecture moderne, construite au pied de la colline, mais hors zone protégée.
Harmonieux, le projet de parking souterrain de 100 places pour les habitants à côté du château devrait l’être. Les jours de forte affluence, 1800 véhicules grimpent la colline de Gruyères et remplissent ses trois parkings. Avec le réaménagement des autres parkings, le chantier est estimé aux alentours de 5 à 6 millions de francs. «Les visiteurs doivent se sentir accueillis dès le bas de la colline», note Jean-Pierre Doutaz. «Cet avant-projet devrait permettre d’améliorer la situation actuelle en restituant une configuration plus naturelle du terrain qui a été profondément modifié pour l’aménagement du parking actuel», note pour sa part Claude Castella, chef du SBC.
Si l’on s’éloigne de la colline, l’un des gros chantiers de la région mesure 70 000 m2. A la place de l’ancien arsenal de Bulle, un écoquartier de 800 habitants et 400 places de travail devrait voir le jour d’ici cinq ans. Son coût? «200 millions de francs», répond son artisan, Michel Cailleau. Un pôle seniors et un hôtel 4 étoiles sont aussi prévus. Les travaux ont commencé il y a six mois sur les anciens bâtiments de l’arsenal de Bulle que l’armée a vendu. De l’artisanat et des commerces devraient aussi y trouver leur place.
L’autre défi autour du château est de permettre aux entreprises de s’implanter dans la région. Mais la place manque. Au bord de l’autoroute A12, de grandes marques se partagent déjà le terrain: le constructeur de machines Liebherr, l’entrepreneur Sottas ou encore le fabriquant de vêtements Yendi. «Une vitrine exceptionnelle», estime Nadine Gobet, directrice adjointe de la Fédération patronale et économique de la Gruyère et également députée libérale-radicale.
Alors que le Tribunal fédéral a décidé la semaine dernière que Lidl avait le droit de construire à Bulle, la commune cherche de nouvelles zones industrielles. «Nous n’en avons plus tellement en mains propres», explique Yves Menoud, le syndic démocrate-chrétien face à une gigantesque photo satellite de 3 mètres de haut.
Une idée est de faire déborder les zones industrielles de l’autre côté de l’A12. «La Gruyère doit préserver son paysage, tout en regardant vers l’avenir. Le développement durable, c’est aussi de pouvoir offrir des places de travail», explique Maurice Ropraz, le préfet libéral-radical, rencontré dans son bureau du château de Bulle.
La demande est bien là, confirment Roland Kaeser et Jérôme Vallélian, syndic et conseiller communal de Bas-Intyamon, là où s’implantera Ladurée. «Beaucoup de demandes sont en suspens, soit une vingtaine, pour notre zone industrielle.» Si certains vont pouvoir s’installer, les zones à bâtir vont se réduire, comme le veut la loi. «Nous devons aussi garder des terrains pour nos agriculteurs», concluent les deux élus.
Mathieu Signorell