Alors que les inquiétudes se focalisent sur le réchauffement, des chercheurs estiment qu’une baisse de l’activité solaire pourrait refroidir la planète.
Des recherches sur l’activité solaire ont défrayé la chronique l’été dernier. Elles laissaient penser que notre astre pourrait bientôt connaître une longue période de faible activité, propre à réduire la quantité d’énergie reçue par la Terre. Les climato-sceptiques, qui contestent la main de l’homme dans le réchauffement climatique, se sont engouffrés dans la brèche: certains ont même prédit un refroidissement imminent du climat. Les climatologues, eux, estiment que le réchauffement ne s’arrêterait pas pour autant.
Que penser, alors que la science n’a pas encore élucidé tous les liens existant entre le soleil et l’atmosphère? Thierry Dudok de Wit, du Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace de l’Université d’Orléans (France), aspire à une meilleure connaissance de l’influence climatique des caprices du soleil: «Le dernier rapport des experts du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (Giec) comprend des centaines de pages sur les gaz à effet de serre et les mécanismes qui les conduisent à réchauffer le climat, mais le rôle du soleil et des nuages est traité en quelques pages seulement.»
A une échelle de temps géologique, le climat est principalement gouverné par trois cycles astronomiques liés à l’inclinaison et au mouvement de l’axe de rotation de la Terre ainsi qu’au caractère plus ou moins circulaire de l’orbite terrestre. Les premiers modulent la différence d’énergie reçue sur un point donné du globe entre l’été et l’hiver, alors que le second influence l’apport total.
L’énergie solaire reçue lors d’une saison varie ainsi de plus de 20% au cours d’un cycle durant environ 100’000 ans et observé depuis 800’000 ans. Ce cycle provoque l’alternance des périodes glaciaires et interglaciaires. A court terme, l’activité du soleil suit un cycle d’environ onze ans et peut s’estimer grâce au nombre de taches observées à sa surface. Entre deux extrêmes, la différence d’énergie rayonnée par le soleil reste faible: elle est estimée à environ 0,1%. Mais ce cycle n’est pas immuable: notre astre connaît parfois des périodes de léthargie de plusieurs décennies — sans qu’on puisse l’expliquer ni le prévoir.
C’est notamment le cas du minimum de Maunder, qui a pris place entre 1645 et 1715: une baisse d’intensité solaire de 0,1% a renforcé le froid qui régnait en Europe et en Amérique du Nord entre les XVIe et XIXe siècles, une époque baptisée «petit âge glaciaire».
Georg Feulner de l’institut Potsdam de recherches sur l’impact climatique (Allemagne) est un spécialiste de cette période: «Introduire cette baisse d’activité solaire dans les modèles climatiques n’arrive pas à reconstituer le climat de l’époque. Pendant le petit âge glaciaire, c’est une intense activité des volcans qui a joué le plus grand rôle dans le refroidissement (les poussières volcaniques formant un écran contre la lumière du soleil, nldr).
Si le soleil devait connaître un très fort minimum au cours de ce siècle, sa contribution à la température terrestre consisterait en une baisse de l’ordre de 0,3° C en 2100 – à comparer avec un réchauffement attendu supérieur à 2° C», conclut le chercheur, qui a conduit des simulations avec son collègue Stefan Rahmstorf. Le cycle actuel a démarré en 2009 avec deux ans de retard, ce qui avait laissé penser jusqu’au printemps 2011 que le soleil aurait pu entrer dans une accalmie prolongée, analogue à celle du XVIIe siècle. Mais il suit aujourd’hui une évolution normale et devrait atteindre un pic d’intensité modeste en 2013 — la violente éruption solaire observée fin janvier 2011 en est d’ailleurs un indice.
Certains chercheurs britanniques pensent que le cycle suivant, qui devrait démarrer en 2020, pourrait connaître une activité anormalement basse, mais ce genre de prédictions basées sur l’étude des champs magnétiques à la surface du soleil restent peu fiables et controversées.
L’influence climatique des variations d’énergie solaire semble aujourd’hui bien décrite, mais ce n’est pas le cas de tous les phénomènes liés à notre astre. Par exemple, sa lumière ultraviolette joue un rôle clé dansla chimie de la stratosphère, notamment dans celle de la couche d’ozone. Est-ce de nature à jouer sur le climat?
«On sait qu’au cours d’un cycle solaire, la quantité d’ultraviolets varie dans une fourchette d’environ 10%, explique Thierry Dudok de Wit. Mais ce rayonnement est très difficile à mesurer et on manque de recul sur les données spatiales qui, pour la plupart, remontent à 2002 seulement.»Les particules cosmiques sont également soupçonnées de jouer un rôle dans la formation des nuages, qui jouent un double rôle sur notre climat: elles le refroidissent en réfléchissant une partie de l’énergie solaire vers l’espace et le réchauffent en bloquant le rayonnement terrestre infrarouge.
Or, l’intensité des rayons cosmiques dépend elle aussi de l’activité solaire. Le chercheur danois Henrik Svensmark affirme avoir démontré une très forte corrélation entre les variations de la couverture nuageuse et celles du rayonnement cosmique. Ces résultats divisent la communauté scientifique: «Ils ont été démentis par d’autres études, commente Thierry Dudok de Wit. Mais il y a sûrement une part de vrai dans ce lien entre activité solaire et nébulosité.»
Une expérience du Cern tente d’ailleurs d’y voir plus clair (voir encadré).«Lorsqu’on regarde les données climatiques depuis le début du XXe siècle, il n’y a pas de corrélation entre les fluctuations du soleil et celles de température», tranche Hervé Le Treut, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace, le plus important centre de recherches français sur le climat. Ce constat conduit à simplifier les modèles pour qu’ils soient compatibles avec la puissance des ordinateurs, et donc à mettre de côté des phénomènes certes mal compris mais qui semblent moins essentiels.
«Nos choix reposent sur des bases scientifiques, affirme Hervé Le Treut. Si un modèle n’explique pas les observations, on essaie de mieux prendre en compte des mécanismes qu’on avait décrit grossièrement.» Thierry Dudok de Wit ne conteste pas le bien-fondé de cette démarche: «Il est raisonnable d’étudier d’abord les phénomènes les plus importants. Le problème avec les paramètres du système climatique, c’est que de faibles causes peuvent avoir des conséquences importantes par un effet boule de neige.»
«Le rôle climatique important joué par les gaz à effet de serre rejetés par les activités humaines est évident, rappelle Thierry Dudok de Wit. La question est de savoir si l’activité solaire représente quelques ‰, 1%, ou 20% du supplément d’énergie captée par l’atmosphère qu’on observe.» 20%? Cela peut paraître beaucoup. Mais alors que la consommation mondiale de combustibles fossiles s’envole, le poids du soleil dans les variations climatiques au cours des prochaines décennies ira sans doute en s’amenuisant.
La machine à nuages du Cern
Une équipe du Cern conduite par le Britannique Jasper Kirkby veut mieux comprendre l’influence des rayons cosmiques sur la formation des nuages. Elle enferme dans une chambre à brouillard les éléments connus pour jouer un rôle dans la formation des nuages: vapeur d’eau, ammoniaque et acide sulfurique en faibles quantités. Le tout est bombardé par un faisceau de protons pour simuler les rayons cosmiques.Publiés en août 2011, les premiers résultats indiquent que les rayons cosmiques favorisent la formation de petits agrégats de molécules — une première étape, primordiale, du mécanisme de formation des nuages, résume Jasper Kirkby. Dans l’atmosphère, ces aérosols grossissent progressivement et si leur taille est suffisante, la vapeur d’eau se condense et des gouttes se forment.«Nous avons constaté que la production de nouveaux aérosols reste trop faible pour expliquer les observations atmosphériques, concède Jasper Kirkby. D’autres vapeurs, probablement organiques, doivent jouer un rôle.» Ce pourrait être, par exemple, des substances volatiles libérées par les arbres.
Denis Delbecq