L’ONG Bloom spécialisée dans l’exploitation des mers distribue bons et mauvais points pour la grande distribution sur la commercialisation des espèces de grande profondeur.
QUESTIONNAIRE. L’association Bloom a adressé un questionnaire aux six grandes enseignes représentant 83 % des parts du marché de l’alimentaire en France, soit Carrefour, Leclerc, Intermarché, Auchan, Casino et Système U. Trois questions simples :
. Vendez-vous du poisson profond ?
. Avez-vous cessé de vendre certaines espèces ?
. En avez-vous arrêté la promotion ?
L’association a également cherché à savoir si ces enseignes s’étaient engagées dans la pêche durable, si elles avaient des liens étroits avec les ONG et les chercheurs et si des partenariats avec la société civile avaient été noués sur les questions de surpêche. Le classement ci-après montre une gradation importante des actions menées par ces distributeurs.
Ainsi, Carrefour et Casino sont distingués pour avoir arrêté la commercialisation de l’empereur dès 2007, sans attendre l’interdiction de pêche de 2010 au contraire de leurs concurrents. La lingue bleue n’est plus commercialisée par Casino, Carrefour et Leclerc, mais est toujours vendue par les trois autres enseignes. Le grenadier de roche et le sabre noir sont vendus par tous les distributeurs mais Carrefour, Leclerc, Casino et Système U en ont arrêté la promotion. Auchan et Casino ont enfin anticipé l’arrêt de la pêche aux requins profonds en arrêtant dès aujourd’hui leur vente.
Vers une interdiction européenne du chalutage profond ?
L’exploitation des stocks de poissons vivant en grandes profondeurs (jusqu’à 2000 mètres) est extrêmement discutée. Le chalutage est très destructeur des fonds et cible des espèces dont la reproduction est lente avec un taux de renouvellement des populations très bas.
La Commission européenne a proposé d’interdire le chalutage profond en Europe. La question est en cours de discussion entre États. La France n’y est pas favorable, pointant les effets nocifs sur l’emploi notamment en Bretagne sud.
La "pêche responsable" d'Intermarché épinglée sur le fond
Une association accuse Intermarché de publicité mensongère au sujet de ses pratiques de pêche. En cause: la pêche au chalut en eaux profondes.
La Scapêche possède dans sa flotte 17 navires dont 8 chalutiers hauturiers (de hauts fonds). Ses prises représentent 60% des pêches françaises profondes. (BOIGEY OLIVIER/LE MORVAN/SIPA)
Intermarché, la seule société de distribution en France à posséder sa flotte de pêche, est accusée de publicité mensongère par l’association BLOOM pour la protection des océans. En cause : la campagne lancée fin 2011 début 2012 par Intermarché pour vanter son engagement en faveur d’une «pêche responsable». La plainte a été présentée vendredi 1er juin devant le jury de déontologie publicitaire de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité).
Le consommateur peut «savourer [son poisson] sans l’ombre d’un doute et pour longtemps encore !» énonçait cette campagne intitulée «Quand les Mousquetaires s’engagent pour une pêche responsable, ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau». La page a été publiée dans la presse fin 2011 et début 2012, quelques mois après des actions de Greenpeace contre les bateaux de la Scapêche et dans les rayons des Intermarché. Le texte mettait en avant la reconnaissance de «pêche responsable» obtenu par Intermarché auprès du Bureau Veritas.
Les dégâts des chaluts en profondeur
«Cette appellation, et le logo qui l’accompagne, n’est pas un écolabel, explique Claire Nouvian, présidente de BLOOM. Le seul écolabel qui existe pour la pêche responsable est celui du Marine Stewardship Council (MSC). Or des pêches réalisées au chalut de fond n’obtiendraient pas ce label! ». Les chaluts –des filets en forme de cône- sont lestés pour aller en profondeur, et tirés à la vitesse de 2 à 4 nœuds. Les inconvénients de cette pêche sont connus et ses effets sur l’écosystème pélagique dénoncés par de nombreuses études.
«Les filets font beaucoup de dégâts sur les fonds et attrapent tout, ce n’est pas une pêche sélective et ça touche un milieu particulier, l’environnement profond, où tout est en au ralenti, explique Claire Nouvian. Les poissons pélagiques ont une maturité sexuelle tardive, ils vivent longtemps mais on une fécondité assez basse. » La lingue bleue et le sabre noir, mis en avant par la campagne d’Intermarché, sont des espèces pêchées en profondeur.
Risque de confusion
L’association BLOOM, et les 26 scientifiques de tous pays qui soutiennent la plainte, dénoncent la confusion qui est ainsi créée auprès du consommateur, qui pense acheter son poisson en toute sérénité alors que «tous les faits montrent que les pêches profondes mènent à la destruction de l’habitat et à l’épuisement routinier des populations de poissons».
La confusion est d’autant plus grande que le logo utilisé par Intermarché (à droite) est très proche de celui du Marine Stewardship Council (MSC).
Or le fonctionnement de cet écolabel n’a rien à voir avec la politique mise en place par Intermarché. Le MSC est une ONG qui a mis au point un référentiel pour une pêche durable. Mais ce sont des organismes indépendants, eux-mêmes certifiés par ASI (Accredition Services International), qui mènent les audits auprès des sociétés de pêche pour délivrer l’écolabel. Scapêche a elle travaillé avec Bureau Veritas pour définir un cahier des charges (incluant des critères sociaux) et c’est la même société qui certifie le respect par la Scapêche des critères qu’elle a elle-même définis...
Du côté des Mousquetaires, on précise qu’il s’agissait d’une campagne institutionnelle n’ayant fait l’objet que d’une seule parution, le 17 novembre 2011. "Nous nous inscrivons en faux contre cette plainte et faisons valoir devant l'ARPP la sincérité, le sérieux et le bienfondé de notre démarche, la loyauté de notre communication, et notre légitimité en tant qu'acteur engagé dans la pêche maritime en France depuis de nombreuses années" écrivent les Mousquetaires dans un courrier électronique. La société de distribution ne souhaite pas communiquer plus avant la décision du Jury de déontologie de la publicité, attendue dans environ trois semaines.
Loïc Chauveau