Tous les quatre ans, à la suite des élections législatives, le parlement bi-caméral suisse élit les sept membres du Conseil fédéral pour un mandat de quatre ans. En cas de démission au cours de la législature, le parlement élit individuellement son successeur.
(Keystone)
C’est un principe intangible du système de démocratie directe suisse: le dernier mot revient au peuple. Le 20 septembre, à l’occasion de l’élection du successeur de Didier Burkhalter au Conseil fédéral, les citoyens n’auront pourtant pas leur mot à dire. Une exception dans le paysage politique suisse que le peuple a toujours voulu maintenir.
Le nombre (sept) des membres du gouvernement tout autant que les modalités d’élection sont restés inchangés depuis 1848, date de fondation de l’Etat fédéral suisse moderne.
«A cette époque, c’est le concept de démocratie représentative qui prévalait. La démocratie directe en était à un stade embryonnaire. Le référendum facultatif, introduit en 1874, de même que l’initiative populaire (1891), n’existaient pas. Pour cette raison, l’élection indirecte du Conseil fédéral était logique», explique Nenad Stojanovic, chercheur et enseignant en sciences politiques à l’Université de Lucerne.
Reste qu’à l’époque déjà, au sein de la commission chargée de la révision de la Constitution, il fut proposé de faire élire l’exécutif fédéral directement par le peuple. Ceci en se basant sur la pratique des cantons, où l’élection directe des exécutifs existait déjà, précise Nenad Stojanovic. A une voix près, la proposition a été rejetée, probablement «parce qu’avec les moyens de communication d’alors, il était difficile d’imaginer une campagne nationale pour les candidats au Conseil fédéral».
Un bon système, à une nette majorité
L’idée de faire élire le Conseil fédéral directement par le peuple a ensuite été remise plusieurs fois sur la table, mais sans succès. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui ont enterré le projet, en refusant sèchement trois initiatives en ce sens. L’opposition s’est même durcie au fil du temps: en 1990, la part de «non» s’élevait à 65%, en 1941 à 67,6% et en 2013 à 76,3%. Aux yeux du politologue, il n’y a pourtant rien d’étonnant à ce que le peuple suisse soit d’accord de déléguer cette compétence au parlement.
Le système helvétique est en fait mixte: on parle de démocratie semi-directe, c’est-à-dire que la démocratie directe cohabite avec la démocratie représentative. Et, surtout, le peuple suisse se montre très réticent à changer tout ce qui lui semble fonctionner. C’est ce qu’a démontré l’analyse effectuée après le vote de 2013: les citoyens qui avaient glissé un «non» dans l’urne jugeaient absolument satisfaisant le système d’élection actuel, motif principal avancé pour expliquer leur rejet de l’initiative.
Les régions au lieu des cantons
Il ne va en revanche pas de soi, selon le chercheur, que l’on ait réussi à faire accepter au peuple que les conditions d’éligibilité échappent à un autre principe intangible de la Suisse: le fédéralisme. La clause qui empêchait la présence au gouvernement de plusieurs représentants d’un seul canton a été remplacée en 1999 par une disposition flexible stipulant que «les différentes régions et composantes linguistiques du pays doivent être représentées équitablement».
Cette disposition, selon Nena Stojanovic, «est une pseudo-clause non contraignante». Elle a introduite «par peur qu’une abrogation pure et simple de la clause cantonale ne soit refusée en votation populaire».
Les italophones exclus depuis plus de 18 ans
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les revendications du Tessin. A chaque élection d’un conseiller fédéral ou presque, le canton italophone du sud de la Suisse plaide pour être représenté au gouvernement fédéral. Avec sept élus au cours des 169 ans d’existence de l’Etat fédéral, le Tessin a pourtant au cours de l’histoire été proportionnellement davantage représenté que la majorité des autres cantons.
En comparant les sept grandes régions linguistiques du pays, on se rend également compte que le Tessin est surreprésenté par rapport à son poids démographique.
«Mais, paradoxalement, depuis l’introduction de la nouvelle clause en 1999, aucun candidat italophone n’a été élu au gouvernement fédéral. La même année, le tessinois Flavio Cotti a quitté le Conseil fédéral et, depuis cette date, la région de langue italophone en a été exclue», souligne Nenad Stojanovic. Sur la base d’une analyse détaillée de toutes les élections au Conseil fédéral après 1999, le politologue constate que le remplacement de la clause cantonale par la clause linguistico-régionale a, de fait, défavorisé les candidats tessinois.
Pas de clause féminine
Dans la course à la succession du conseiller fédéral démissionnaire Didier Burkhalter, une autre «composante» de l’électorat revendique le droit d’être équitablement représentée au gouvernement: celle des femmes. Totalement exclues jusqu’en 1984, les femmes – elles occupent à l’heure actuelle deux des sept sièges - sont nettement sous-représentées au gouvernement par rapport à leur poids démographique (50,4% de la population).
Bien qu’étant un défenseur de la parité entre les sexes, Nenad Stojanovic précise que «d’un point de vue conceptuel, il faut éviter toute confusion: la pseudo-clause constitutionnelle n’a pas pour logique de faire du Conseil fédéral un miroir un pays, mais d’intégrer les différentes régions et langues dans le but de garantir la cohésion nationale. En l’absence d’une telle représentativité, une région pourrait à long terme décider de faire sécession. C’était également la logique qui présidait à la vieille clause cantonale. Les femmes, qui ne sont pas concentrées géographiquement dans une partie du pays, ne représentent pas un tel danger».
Les six règles que tout nouveau conseiller fédéral doit connaître
Les sept ministres et le chancelier. A l'automne, il faudra retoucher la photo pour le ou la remplaçante de Didier Burkhalter (2e rang, à gauche)
(Bundeskanzlei/Beat Mumenthaler)
Le ministre suisse des affaires étrangères Didier Burkhalter a démissionné. Le départ d’un membre du Conseil fédéral (gouvernement) déchaîne rumeurs et spéculations sous la coupole. Quoi qu’il en soit, son successeur doit être bien conscient que la répartition des portefeuilles suit des règles bien particulières.
Le collège gouvernemental connaîtra-t-il une grande rocade? Ou le nouvel élu héritera-t-il simplement du siège laissé vacant par Didier Burkhalter à la tête du Département des Affaires étrangères? Ces questions alimenteront certainement un des feuilletons de l’été en Suisse.
Le nouveau conseiller fédéral sera élu en septembre. En novembre, le gouvernement se réunira pour la première fois dans sa nouvelle composition afin de procéder à la répartition des départements.
1. Collégialité
La règle d’or de cette répartition veut que le Conseil fédéral cherche un consensus par la discussion… et y parvienne. Il peut ainsi montrer immédiatement au nouvel élu ce que signifie la collégialité, ce principe exigeant des sept membres du gouvernement qu’ils assument en public les décisions prises par le collège. Parce que des ministres trop préoccupés par leur égo seraient mauvais pour la confiance dont le gouvernement jouit auprès de la population. Aucun autre gouvernement au monde ne manifeste aussi explicitement sa collégialité. Le président n’est d’ailleurs élu que pour un an et n’est qu’un «primus inter pares», le premier parmi les pairs.
2. Ancienneté
Lorsque tout se déroule en douceur, le gouvernement suit le principe d’ancienneté, à savoir que le premier à formuler ses souhaits est le conseiller fédéral qui est en fonction depuis le plus longtemps. Il est suivi par les six autres dans le strict respect de l’ordre dicté par les années de service. Le nouveau s’exprime en dernier. Son entrée au gouvernement lui impose donc une certaine humilité, mais comme il connaît les usages, il n’en prend pas ombrage.
3. Majorité
Mais qu’en est-il si un conseiller fédéral n’est pas prêt à se plier aux règles d’ancienneté? Le gouvernement cherche alors une solution consensuelle et, à défaut, décide à la majorité. Il est ainsi arrivé que des séances de répartition débouchent sur des conflits ouverts. Les ambitions personnelles, les traits de caractère et les affinités ne restent pas derrière les portes de la salle où les sept sages se réunissent. Ainsi, en 1993, le nouvel élu tessinois Flavio Cotti avait immédiatement revendiqué les Affaires étrangères, un département que convoitait également le ministre de la justice Arnold Koller. Tous deux démocrates-chrétiens, ils n’ont cependant pas réussi à se mettre d’accord.
4. La voix du président
Après plusieurs tentatives de conciliation infructueuses, le Conseil fédéral a fini par voter et c’est la voix prépondérante du président d’alors, Adolf Ogi, qui a fait pencher la balance, attribuant les Affaires étrangères au représentant de la minorité italophone. Arnold Koller n’avait plus d’autre choix que d’obtempérer – un cas rare dans l’histoire du Conseil fédéral.
5. Consensus
En 2010 au contraire, Simonetta Sommaruga n’a pas pu profiter de divisions: la majorité des membres du gouvernement, et leurs partis, étaient d’accord pour estimer que la nouvelle élue socialiste devait reprendre le Département fédéral de Justice et Police, qui est notamment en charge de la politique de l’asile. C’est pourtant un sujet de prédilection de l’Union démocratique du centre (UDC – droite conservatrice) et il aurait semblé normal que ce parti prenne en charge la question des migrations. Mais la droite préférait laisser ce dossier brûlant à la gauche. Depuis, la pianiste de formation a pris goût à sa tâche. Gouverner en Suisse peut aussi vouloir dire qu’il faut travailler à contrecœur, contre ses propres inclinaisons et en dépit de ses compétences.
6. Préférences des partis
La répartition est donc également une affaire de calculs politiques. En outre, les quatre partis qui composent le gouvernement depuis 1960 ont des départements de prédilection qu’ils ont tendance à considérer comme des chasses gardées. Ainsi, près de 75 ans après l’élection du premier socialiste au gouvernement, il semble toujours qu’il soit tabou d’en installer un à la tête du Département de la Défense, de la Protection de la population et des Sports. Sans compter que les affaires militaires ne constituent certainement pas une priorité pour un conseiller fédéral socialiste.
Sonia Fenazzi
Renat Kuenzi