Ce dessin humoristique dit tout de ce qu'en pensent les jeunes
Un an après le rejet dans les urnes de la proposition de supprimer la redevance, la SSR poursuit sa mue, en cherchant notamment à récupérer les jeunes générations «tout-écran».
Au chaud, affalé dans votre canapé après le travail, vous regardez la dernière série Netflix sur votre écran préféré. Il est bientôt 19h30. Sur une autre planète, c’est l’heure du journal télévisé qui réunissait les foyers autour du téléviseur au siècle dernier.
A-t-on vraiment changé d’habitudes? Un an après un vote massif en faveur du maintien de l’audiovisuel public suisse, la question reste en suspens.
Comme la BernerZeitung l'a signalé la semaine dernière, des constantes demeurent. L'émission la plus regardée sur la plateforme suisse de streaming Zattoo, reste en Suisse alémanique, le journal télévisé Tagesschau de la SRF. Mais l’article ne précise pas l’âge des spectateurs.
Où sont donc les jeunes générations? Bien qu'il ne faille pas exagérer le fossé générationnel, d'autres études sur l'évolution des habitudes médiatiques des jeunes donnent des maux de tête aux radiodiffuseurs publics suisses et étrangers.
Sous le radar des jeunes
Selon le Digital News Report 2018 de la Fondation Reuters, les 18-34 ans en Suisse choisissent comme source d'informations des sites en ligne et des médias sociaux. Un nombre croissant de personnes sont également prêtes à payer un abonnement mensuel à des services de divertissement, notamment la plateforme de streaming Netflix.
Cela dit, la SSR a également investit le web et les réseaux sociaux depuis plusieurs années. Et les jeunes ont généralement une opinion favorable de l’audiovisuel public et 80% des moins de 30 ans ont rejeté l’initiative NoBillag. Le rapport de la Fondation Reuters relève également que les contenus des radiodiffuseurs publics sont considérés comme les plus «fiables» du pays.
Pour le Dr Ulla Autenrieth, spécialiste des médias à l'Université de Bale, il s'agit principalement d'une question d'incitation et de visibilité.
Le contenu de la SSR n'est tout simplement pas dans le radar des jeunes, dit-elle. Fini le temps où la SRF ou la RTS était le centre incontournable de l'univers des médias. Dans un secteur devenu hautement concurrentiel, ils n'atteignent pas leurs objectifs, estime la chercheuse.
Habitués à se rendre directement sur Google ou YouTube (ce qui est intéressant, c'est qu'ils sont perçus comme des sources directes plutôt que comme des agrégateurs de contenu), ou passant par les recommandations circulant sur les réseaux sociaux, les jeunes utilisateurs ne considèrent tout simplement pas les médias publics, dit-elle. Lorsqu'ils le font, ils n'ont pas non plus la patience de naviguer sur des sites comme SRF.ch, moins adapté à une expérience personnalisée qu'une plateforme comme Netflix.
Bref, la stratégie du passé, qui consistait à attirer passivement les lecteurs/téléspectateurs grâce à un contenu de qualité, n'est plus possible. Aujourd'hui, il ne suffit plus d’exister. Il faut le faire savoir en permanence sur les réseaux sociaux, sans avoir prise sur leurs algorithmes et l’entre-soi qu’ils favorisent.
Le développement du divertissement est également un défi. Submergées par les vidéo YouTube et les séries internationales, les nouvelles générations sont moins enclines à se plonger dans des reportages et des émissions d’information que les médias publics sont chargés de produire.
Le contenu du service public serait-il barbant? Ce sont généralement des gens ennuyeux qui font cette observation. Et il est probable que pour beaucoup – jeunes ou vieux – Breaking Bad est plus intéressant qu’un reportage sur un accord commercial entre Suisse et l'Indonésie, par exemple.
De fait, les Suisses sont de plus en plus enclins à payer pour Netflix et les services de streaming, mais très peu enclins, même par rapport à d'autres pays européens, à payer pour s’informer, se contentant souvent du journal gratuit 20 Minutes.
Se reconnecter avec le public
Rien de tout cela n'est très nouveau. Mais vers quoi cela mène-t-il? Une situation où la prochaine génération accepte de financer les médias et l'information publics pour ensuite les ignorer? Ou bien les médias publics tentent de se mettre à la page en faisant du sensationnalisme sur des contenus qui seraient autrement anodins?
Ni l'une ni l'autre option ne semblent géniales. La première hypothèse conduirait à un gaspillage des ressources et à l'obsolescence à plus long terme. La seconde alimenterait les craintes que la démocratie et le débat rationnel ne soient minés par un média axé sur l'attention (une autre étude de l'Université de Bâle a récemment constaté que les périodes de frénésie médiatique aux États-Unis autour de questions sensationnalistes coïncident avec des décisions politiques importantes, mais moins passionnantes, qui passent au Congrès).
Ulla Autenrieth n'a pas de prescription à donner. Elle ne peut citer que quelques exemples d'innovation et de succès dans les domaines de la presse écrite et en ligne, où les «communautés» commencent à se mobiliser pour financer des reportages journalistiques et des projets qui les intéressent.
Comme Gilles Marchand, directeur général de la SSR, la chercheuse suggère la possibilité d'investir dans des contenus suisses produits localement qui pourraient ensuite être mis à disposition sur des plateformes de streaming plus innovantes et sur mesure. Si vous ne pouvez pas rivaliser directement avec Netflix, alors créez un équivalent pour la Suisse, si on veut suivre cette logique.
Mais quelle que soit la solution qui émerge, l'un des points sur lesquels tout le monde est d'accord est que «seuls ceux qui sont bien informés peuvent prendre des décisions éclairées», comme l'a relevé en 2017 une étude de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Dans une démocratie comme la Suisse, où les citoyens sont appelés aux urnes jusqu'à quatre fois par an, l’enjeu n’en est que plus crucial.
Domhnall O'Sullivan