Les causes de la sécheresse
Parmi les causes assignées à la sécheresse que connaît le pays, c’est en effet au changement climatique que revient la première place. L’Australie est l’une des régions du monde où la hausse des températures devrait être la plus marquée. Il est notamment anticipé que les tempêtes océaniques d’hiver, dont l’Australie dépend pour la plupart de son eau, se déplacent en direction du pôle Sud. Même s’il n’est pas certain que la sécheresse des années 2000 soit directement imputable au changement climatique, il ne fait guère de doute en revanche que celui-ci aura pour effet de la rendre plus ou moins permanente. C’est d’autant plus vrai que, comme souvent, les effets du climat se conjuguent ici aux conséquences plus immédiates de l’activité humaine.
La situation de l’Australie a souvent fait la une de la presse internationale car elle semble illustrer jusqu’à la caricature le caractère insoutenable et égoïste d’un certain mode de vie occidental. D’une part, le gouvernement australien refusait (jusqu’à l’élection d’un gouvernement travailliste fin 2007) de signer le protocole de Kyoto, et les émissions de carbone par tête des Australiens atteignent presque le niveau de celle des États-Unis, alors même qu’ils sont parmi les premiers à souffrir du changement climatique. D’autre part, les Australiens consomment 30 % plus d’eau que la moyenne des pays de l’OCDE, et leur consommation a continué d’augmenter alors même que l’état de sécheresse était déclaré. En pleine pénurie d’eau, certains continuaient à remplir leurs piscines, laver leurs voitures et arroser leurs pelouses, refusant de reconnaître le droit d’une quelconque autorité de leur dénier cette « liberté individuelle ». Cette situation explique en partie que les mesures de conservation de l’eau aient pris, dans ce pays, un caractère particulièrement coercitif et, dans certains cas, violent.
L'Australie consomme déjà trop d'eau par rapport à ses ressources, et cette tendance ne cesse d'augmenter. A partir des années 1980, «il a été reconnu que nos ressources en eau devenaient plus rares; que beaucoup de nos rivières étaient polluées, qu'elles ne s'écoulaient que par intermittence; et que notre faune et notre flore en subissaient les conséquences. Parallèlement, les demandes d'eau de la part des utilisateurs urbains, ruraux et industriels augmentaient chaque année», continue le représentant d'Invest Australia. C'est pourquoi le gouvernement fédéral, les Etats et les Territoires (1) ont signé en 2004 l'Initiative nationale sur l'eau (dont l'acronyme anglais est NWI). C'était la première fois qu'une telle initiative était menée à l'échelle nationale. En 1994, des programmes avaient été développés par chaque Etat, donc de manière fragmentée. Depuis, une série de réformes institutionnelles et législatives menées par le gouvernement fédéral a permis de rendre le système plus mature et plus sûr. L'étude économique de l'Australie présentée par l'OCDE en 2004 a tout de même pointé un rythme de réforme trop faible pour les zones rurales.
Le secteur agricole menacé ?
Le facteur le plus décisif de la sécheresse est toutefois le mode développement agricole privilégié par l’Australie, et en particulier le choix de cultures inadaptées à l’environnement local, entraînant un recours massif à l’irrigation. La production agricole, qui ne représente que 3 % du PIB australien, consomme les deux tiers de l’eau du pays, qui est l’un des principaux producteurs de blé et de viande de la planète. Son importance au niveau mondial se mesure au fait que la sécheresse australienne a souvent été citée comme l’une des causes de la hausse des prix des matières premières (en particulier du blé) en 2005-2008. L’extension de l’agriculture s’est également accompagnée d’une déforestation massive et continue : plusieurs dizaines de milliers d’hectares continuent de disparaître chaque année.
Le secteur agricole commence à subir de plein fouet les contrecoups de son développement : les sols se salinisent ; les feux de brousse se multiplient, intervenant plus tôt dans la saison et devenant plus intense ; enfin et surtout, l’eau manque cruellement. Le bassin du Murray-Darling, qui abrite 70 % des terres irriguées et 40 % de la production agricole du pays (et la plus grande partie de la production vivrière), est le plus durement touché. Aux effets de la sécheresse s’y ajoutent ceux d’un système d’irrigation en mauvais état, entraînant un gâchis considérable des ressources. Le niveau des eaux y reste très faible (le fleuve n’atteint plus la mer 4 jours sur 10), entraînant des dommages non seulement pour l’agriculture, mais aussi pour la santé écologique même du fleuve et des écosystèmes qui en dépendent. Régulièrement, l’eau en est déclarée impropre à la consommation humaine en raison de l’acidification entraînée par la faiblesse du débit. Le milieu rural a perdu des dizaines de milliers d’emploi ; les pertes de revenu se comptent, les pires années, en, milliards de dollars US ; les productions de riz, de coton, de blé, de viande ont substantiellement décliné ; de nombreux petits agriculteurs ont fait faillite, ont changé de métier, ont déménagé ou, dans certains cas, se sont suicidés – tout ceci en dépit des milliards de dollars dépensés par les États et le gouvernement fédéral pour venir au secours des agriculteurs.
Parallèlement, les autorités s’efforcent de mettre en œuvre une gouvernance plus efficace de l’eau destinée à l’irrigation et de sa répartition. La mise en place d’un plan de gestion de l’eau au niveau du bassin du Murray-Darling a toutefois occasionné des conflits politiques entre les États et le niveau fédéral, les premiers étant souvent dirigés par les travaillistes et le dernier jusqu’en 2007 par les conservateurs. Avec l’alternance au niveau fédéral, les États ont accepté l’entière dévolution au niveau central de la gouvernance de l’eau.
Le système de répartition de la ressource, qui repose sur des allocations en eau et s’accompagne du développement d’un « marché de l’eau » où ces allocations peuvent être échangées, entraîne des effets pervers : pour certains petits agriculteurs, il devient plus avantageux de vendre leur droit à l’eau aux compagnies minières du pays que de cultiver leurs terres. Le prix des droits à l’eau varie maintenant en fonction de celui des matières premières agricoles au niveau mondial : si le prix de celles dont la culture nécessite beaucoup d’eau monte, le prix de l’eau monte également. Les cultivateurs de blé peuvent dès lors par exemple préférer « laisser passer » une année et vendre leur eau à des cultivateurs de coton. Banques et consortiums se mettent également de la partie, achetant de grandes quantités d’eau pour la réinvestir ultérieurement dans des exploitations comme n’importe quel autre « capital ». Un tel système a pour effet de favoriser l’agrobusiness. Surtout, il n’a pas résolu le problème de pénurie, puisque les allocations en eau sont toujours régulièrement menacées de suspension en l’absence de précipitations. En conséquence, le gouvernement australien a mis en place un programme de rachat des allocations d’eau pour ramener les extractions à un niveau soutenable. En 2009 par exemple, il aura racheté pour 250 millions de dollars US les droits à l’eau d’un grand groupe agricole du Murray-Darling (équivalents à 240 milliards de litres d’eau). L’eau ainsi économisée sera affectée exclusivement à la restauration des écosystèmes.
Le gouvernement de l’État de Nouvelle-Galles du Sud projetterait d’étendre le système d’allocation de droits à l’eau par vente aux enchères, appliqué jusqu’alors aux eaux de surface, à l’eau souterraine du Grand Bassin Artésien. Ce qui ne manquerait pas de relancer les conflits politiques puisque cet aquifère est partagé entre plusieurs États et qu’il constitue la seule source d’approvisionnement pour la plupart des régions intérieures.
L’année 2009 a encore été une fois été marquée par une progression record des marchés de l’eau australiens, mais certains États (surtout celui de Victoria) ont été dénoncés sous prétexte qu’ils auraient posé trop de restrictions au développement de ce marché (notamment au niveau inter-étatique) dans le but de protéger leurs agriculteurs contre la "tentation" de vendre leurs droits à l’eau aux utilisateurs industriels ou urbains.
Les restrictions de consommation dans les villes
La plupart des grandes villes australiennes : Brisbane, Sydney, Melbourne, Perth et Adélaïde, voient leurs réserves baisser petit à petit, et se trouvent contraintes de repenser entièrement leur système d’approvisionnement, mais aussi d’imposer des restrictions à la consommation. Selon le niveau d’alerte, il peut désormais être interdit d’arroser sa pelouse, de laver sa voiture au jet, de remplir sa piscine – voire de prendre un bain – à certaines heures. Lorsque le niveau d’alerte maximal est atteint, tout usage de l’eau à l’extérieur est purement et simplement interdit.
Or, souvent, les habitants ne se sont pas montrés disposés à renoncer à leurs habitudes de gaspillage de l’eau. La persuasion n’étant pas suffisante, les autorités se sont donc vues obligées de recourir à la coercition, en mettant en œuvre les grands moyens sécuritaires : tournées de police ou d’inspecteurs de l’eau en ville pour contrôler les usages, patrouilles de rangers au bord des rivières pour traquer les voleurs d’eau, contrôles satellites… Les contrevenants peuvent voir réduite la pression de l’eau qui leur est fournie ou payer une amende conséquente. La tension sociale qui n’a pas manqué de résulter de ces restrictions a fait fin 2007 une victime : un homme décédé suite à une altercation avec son voisin à propos de l’arrosage d’une pelouse…
On assiste toutefois progressivement à une évolution positive des mentalités et à l’adoption de comportements plus responsables. Il est vrai qu’il n’y a pas vraiment le choix… Canberra aurait vu sa consommation d’eau baisser d’un tiers en un an. Celle de Melbourne est revenue en 2008 à son niveau de 1934, et celle de Sydney à son niveau de 1974, malgré 1,2 million d’habitants supplémentaires. Les Australiens équipent de plus en plus leurs maisons de citernes pour récolter l’eau de pluie. Dans plusieurs États de la côte Est, l’installation d’une telle citerne est d’ailleurs légalement obligatoire pour toute maison neuve. En Nouvelle-Galles du Sud, les prescriptions vont plus loin encore, puisqu’elles requièrent l’inclusion d’un système de recyclage de l’eau envoyant l’eau du bain dans les toilettes et celle de la vaisselle dans le jardin. Un système d’étiquetage obligatoire des équipements domestiques au regard de l’efficience de leur usage de l’eau a été mis en place en 2006 (voir le texte "Étiquetage des équipements domestiques en fonction de leur consommation d’eau"). L’Australie a également été pionnière en ce qui concerne la mise au point de toilettes utilisant très peu d’eau. Enfin, les consommateurs australiens, qui s’étaient régulièrement opposés avec force à l’utilisation d’eau usée recyclée, comme en font foi plusieurs référendums locaux, semblent d’après les dernières enquêtes d’opinion se résigner à l’inévitable, même en ce qui concerne son utilisation comme eau de boisson.
Les investissements technologiques
Confronté à la sécheresse, le gouvernement australien a adopté en juin 2004 une « Initiative nationale de l’eau » visant à redéfinir entièrement la gestion de l’eau dans toutes ses dimensions : mesure et surveillance de l’état des ressources, capacités de stockage, droits d’accès et marchés de l’eau, réforme des systèmes de gestion urbains et ruraux. Ce programme était accompagné de la mise en place d’un fonds d’investissement dans le secteur de l’eau, lequel a donné l’impulsion à la construction de nombreuses nouvelles infrastructures. Certains de ces nouveaux projets visent à réduire les gaspillages inutiles, comme la conversion des canaux ouverts en pipe-lines pour éviter les pertes dues à l’évaporation. Mais la plupart d’entre eux restent davantage orientés par une politique d’augmentation de l’offre d’eau à n’importe quel prix que par un effort de rationalisation et de modération des usages. Les projets les plus importants sont ainsi ceux de construire plusieurs usines de dessalement (Perth, Sydney, Melbourne…), des usines de traitement de l’eau, de nouveaux barrages (Urannah) ou de nouveaux conduits pour transférer l’eau sur de grandes distances, ainsi que le lancement d’opérations de prospection dans le Nord du pays. Dans certains cas, un certain effort est fait pour limiter les impacts négatifs des projets : en ce qui concerne l’usine de dessalement de l’eau de mer projetée par la ville de Perth, par exemple, une grande partie de ses (importants) besoins en énergie devraient être couverts par des sources renouvelables, solaire et éolien. Les projets de recyclage des eaux usées à des fins industrielles, agricoles ou domestiques commencent également à se multiplier.
L’ampleur de ces investissements fait de l’Australie un véritable laboratoire pour les nouvelles technologies de l’eau, et les multinationales du secteur y sont particulièrement présentes et actives. Cet investissement massif n’est d’ailleurs pas sans donner lieu à des dérives de type "sécuritaire", comme l’a montré l’affaire révélée par la presse australienne où les autorités policières de Melbourne et de l’État de Victoria ont purement et simplement "livré" leurs fichiers d’activistes au consortium privé (mené par Suez) en charge de la réalisation d’une gigantesque usine de dessalement, jugée cruciale pour la sécurité de ce territoire. On peut également craindre que certaines de ces technologies, comme le dessalement, ne parviennent à atténuer une partie des effets de la crise de l’eau que connaît le pays qu’au prix d’en renforcer les causes fondamentales.
L’Australie continue à être sujette à des sécheresses régulières, même si aucune n’a pour l’instant atteint la même ampleur que la succession d’années sèches des années 2000. Du côté de la gouvernance des ressources, le retour au pouvoir d’un gouvernement conservateur et climato-sceptique au niveau fédéral a conduit à remettre en cause nombre des avancées politiques obtenues suite à la sécheresse, comme le programme de rachat de droits d’extraction d’eau dans le Murray-Darling, sinon l’existence même d’instances officielles et scientifiques chargées de superviser la gestion de l’eau (National Water Commission). Les grandes infrastructures construites à l’occasion de la sécheresse (usines de dessalement comme à Melbourne et ailleurs) restent inutilisées, et coûtent très cher aux contribuables et usagers australiens. Mais une partie de la population semble s’y être résignée, estimant qu’elles finiront bien par servir...
(1) En Australie, il existe 6 Etats, 2 Territoires intérieurs et 6 Territoires extérieurs (des îles).
Egger Ph.
Je vous conseille le très bon article de Marc Laimé datant de 2007:
Crise de l’eau :
le laboratoire australien
1ère partie
La crise de l’eau qui affecte chaque année plus gravement l’Australie, sans équivalent dans aucun autre pays développé, trouve ses fondements dans l’irrigation et la déforestation qui ont provoqué une dramatique salinisation des terres arables de ce continent aux deux tiers désertique. Faute de remettre en cause un modèle de développement catastrophique, l’Australie se mue en laboratoire d’une gestion de la ressource qui fait appel à des projets colossaux de désalinisation, de construction de pipelines et de réutilisation des eaux usées. Une fuite en avant technologique à haut risque.
L'été 2007 pourrait être marqué par des sécheresses dramatiques affectant deux grands pays développés.
Le quotidien britannique The Independant publiait en Une le 11 juin 2007 une enquête alarmante sur la sécheresse qui affecte déjà les Etats-Unis, et qui serait la pire qu’ait connu le pays depuis la Grande dépression des années 30 : "La sècheresse des années 30 a duré moins d’une décennie : celle-ci pourrait durer 100 ans", indique M. Richard Seager, climatologue à l’Université de Columbia.
« L’humanité sera confrontée à l’avenir à des sécheresses plus fréquentes, plus longues et plus sévères. Or, les populations et les autorités concernées n’y sont pas préparées, ou très mal, à tel point qu’elles connaissent déjà de grandes difficultés à faire face aux pénuries actuelles. Une meilleure anticipation et une gestion plus rationnelle des ressources en eau permettraient pourtant d’en limiter les impacts », affirmaient en écho les participants au Premier forum international sur la sécheresse, qui se tenait du 18 au 20 juin 2007 à Séville, en Espagne.
Par ailleurs l’agence Chine nouvelle rapportera le 22 juin 2007 que la sécheresse qui frappe de vastes régions de Chine a entraîné des pénuries d’eau affectant plus de huit millions de personnes et que de nombreux animaux d’élevage sont morts de faim.
Les régions du nord, notamment la Mongolie Intérieure et les provinces de Liaoning et de Jilin, figuraient parmi les plus touchées. Dans le Liaoning, région du nord-est productrice de maïs, près de 90 retenues d’eau étaient à sec et quelque 25.000 puits n’étaient plus en mesure de fournir des quantités d’eau suffisantes.
Les médias chinois rapportaient la semaine précédente que le Liaoning connaissait une sécheresse sans précédent depuis trente ans en raison de températures élevées combinées à une faible pluviosité et que 1,4 million d’hectares de cultures de maïs en avaient pâti.
La sécheresse a aussi réduit l’approvisionnement en eau de 870.000 personnes et d’environ 1,5 million de têtes de bétail en Mongolie Intérieure, ajoutait Chine Nouvelle. Dans les zones les plus affectées de cette région, du bétail a péri faute d’herbe à brouter.
En revanche, la Chine méridionale était affectée par des inondations qui ont fait au moins 76 morts et détruit des maisons ainsi que des centaines de milliers d’hectares de rizières.
L’Australie pour sa part affronte une situation sans précédent.
Huit générations d’immigrants européens y ont radicalement modifié l’équilibre d’un écosystème continental fragile. La faune et la flore indigènes ont quasiment disparu, remplacées par des espèces européennes, et plus récemment asiatiques. L’Australie incarne ainsi, jusqu’à la caricature, les dérives générées par un modèle agricole productiviste et une consommation domestique excessive.
Ignorant les méthodes et les produits des chasseurs-cueilleurs autochtones, l’agriculture intensive importée d’Europe à partir du XIXème siècle a violemment été imposée à l’un des pays les plus arides du globe.
L’Australie n’est devenue l’un des premiers producteurs mondiaux de blé, de laine et de viande qu’au prix d’une déforestation parmi les plus spectaculaires qu’ait connu la terre. Un phénomène qui perdure aujourd’hui, avec près de 530 000 hectares de bois qui disparaissent chaque année. Pour un arbre planté dans le cadre d’un plan national mis en place il y a une dizaine d’années, cent mille sont abattus par des exploitants privés.
Des millions de tonnes de sel
Conséquence dramatique, le sel remonte à la surface des sols, et met en danger la survie de l’agriculture australienne. Le chlorure de sodium menace plus d’un tiers des terres arables.
Car siècle après siècle, les vents venus des océans qui l’entourent ont déposé des millions de tonnes de sel, qui se sont accumulées dans les plis du plat relief, contrairement à ce qui se passe dans d’autres régions du globe, où les pentes du relief et le système pluvial drainent le sel vers la mer, n’en conservant au passage que la faible quantité indispensable aux organismes vivants.
L’Australie est en effet demeurée à l’écart des violents bouleversements tectoniques qui ont remodelé les autres continents. Les derniers volcans s’y sont éteints il y a 40 000 ans. Depuis des millions d’années le continent s’érode et son système pluvial s’est appauvri. Mais les vents océaniques ne sont pas seuls responsables de la salinité des sols australiens.
D’immenses mers intérieures, encore présentes il y a 200 000 ans, se sont asséchées, laissant place à des couches sédimentaires saturées de chlorure de sodium. Les deux tiers du territoire sont des déserts, parmi les plus secs au monde. Le tiers restant, le Sud et le Sud-Est du pays, est seul propice à la faune et à la flore spécialisée qu’elle nourrit.
Une végétation buissonnante et de grands eucalyptus avaient trouvé là une niche écologique. En abattant ces pompes naturelles qui absorbaient l’eau de pluie, les exploitants agricoles ont rompu l’équilibre. Inexorablement, les nappes phréatiques, gonflées par les pluies que rien ne retient plus, lessivent le sel accumulé dans le sol.
Les fleuves détournés pour irriguer les cultures dans les déserts alimentent également les nappes souterraines. Et l’eau chargée de sel retourne aux fleuves, dont la salinité augmente.
Le phénomène est irréversible, et la sagesse voudrait que l’on abandonne purement et simplement la culture des terres gagnées par le sel. Le bon sens commanderait de même de replanter des arbres là où ils ont été coupés. Un vœu pieux, car les arbres ne repoussent pas dans le sol saturé de sel. Les terres déboisées seront donc à jamais impropres aux cultures.
Les origines de la crise remontent donc au XIXème siècle quand les immigrants européens se mirent en quête de grands fleuves inexistants.
Aussi des milliers de puits, des centaines de barrages et des milliers de kilomètres de canalisations furent-ils construits pour extraire l’eau du sous-sol, canaliser celle des rivières et l’acheminer à travers tout le pays.
Des décennies durant les forages qui plongeaient dans les nappes phréatiques demeurèrent donc ouverts, déversant à flots une eau de pluie tombée il y a deux millions d’années. On estime ainsi que seuls 2% de l’eau remontée à la surface du Great Artesian Basin, immense lac souterrain situé à l’est du pays, ont été utilisés, le reste a été perdu…
Le continent le plus sec
Plus grande île et plus petit continent du monde, l’Australie est donc devenue le continent le plus sec. Si elle représente près de 5 % de la surface mondiale de terres émergées sa pluviométrie annuelle n’excède pas les 450 millimètres. Elle est de plus extrêmement variable car les déserts représentent 70 % de la superficie du pays.
Conséquence de cette configuration territoriale, 90 % des 20 millions d’Australiens sont concentrés sur la côte sud-est, à la pluviométrie plus prévisible. Une pluviométrie qui n’a cessé de décroître depuis le milieu des années 90. Entraînant la proclamation officielle d’états de sécheresse dans la plupart des zones urbaines et agricoles, accompagnés de restrictions de la consommation d’eau.
Dès le début des années 90, mille kilomètres de rivière avaient déjà tourné au marécage. Partiellement asséchées par les stations de pompage, suffoquées par les déchets des villes, elles se sont recouvertes d’algues toxiques qui empoisonnent le bétail et les animaux sauvages.
Déjà les scientifiques étaient unanimes pour prédire que le pire était à venir. L’augmentation des températures, couplée à une baisse des précipitations, ferait de l’Australie un continent de plus en plus désertique.
A l’orée des années 2000, quand les gouvernements des différents Etats australiens commencent à se montrer plus soucieux de protéger les réserves d’eau, les habitants n’en ont cure et n’en refrènent pas pour autant leur consommation, qui a déjà augmenté de 12% entre 1997 et 2000.
Avec une consommation d’eau 30% supérieure à la moyenne des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les ménages australiens ne font pas figure d’exemple. Une situation qui s’explique en partie par le fait que la majorité des Australiens vivent dans des maisons, et non des appartements, et que beaucoup d’entre elles sont équipées d’une piscine »,
Mais ce ne sont ni les hommes ni l’industrie qui utilisent le plus d’eau. L’agriculture en absorbe plus des deux-tiers chaque année, alors qu’elle ne représente que 3% du PIB australien.
La plupart des cultures, trop dépendantes de l’irrigation, ne sont pas adaptées à leur environnement, comme celle du riz qui a besoin de centaines de milliers de litres d’eau pour chaque champ.
Ainsi, selon le Bureau australien des statistiques, le coton et le riz sont les cultures les plus consommatrices d’eau avec respectivement 14,1 et 6,5 mégalitres d’eau par hectare, pour une moyenne nationale de 4,4 ML/ha.
Pour répondre aux besoins en eau des agriculteurs et des industriels, les pouvoirs publics ont développé l’irrigation. Le pâturage représentait à ce titre, au début des années 2000, 30% du volume d’eau d’irrigation du pays. Mais ces systèmes d’irrigation sont clairement obsolètes et gaspillent de grandes quantités d’eau.
Le gouvernement prévoyait dès cette époque d’investir près de 4 milliards de dollars australiens, soit 2,5 milliards d’euros, pour lutter contre la salinité.
Notamment en recherchant de cultures capables d’absorber l’intégralité de l’eau de pluie, et en étudiant les meilleurs types de plantations, adaptées au terrain, et cultivées en alternance sur un an.
Avec en perspective le départ des petits exploitants de leurs terres avant qu’il ne soit trop tard, pour laisser la place aux gros exploitants, réputés seuls capables d’investir à long terme, sans escompter de profit immédiat. Car seule une gestion « scientifique » des pratiques culturales semblait à même, pour les autorités, d’inverser la marée montante du sel dans toute l’Australie.
Mais pas question de se passer des cultures irriguées, pourvoyeuses de nourriture. Bien qu’elles soient la cause première de la remontée du sel, en raison des énormes quantités d’eau saumâtre et polluée qu’elles rejettent dans le système fluvial, elles sont mises en œuvre par des agriculteurs familiers des méthodes des ingénieurs, qu’ils sont d’ailleurs plus ou moins eux-mêmes.
Ils apparaissaient donc, pour les autorités australiennes, mieux à même d’accepter des règles très contraignantes, que les agriculteurs des grands espaces non irrigués (« drylands ») ne sauraient adopter faute de moyens et surtout de compétences.
M. John Williams, co-responsable du plan national australien de lutte contre la salinisation, considérait ainsi en 2001 qu’il serait préférable de « supprimer la majorité des prairies destinées au bétail et cesser toute exploitation forestière », autre cause majeure du fléau, et de son inquiétante accélération.
Le spectre de la grande sécheresse
Les Verts australiens réclamaient pour leur part l’abandon rapide de ces pratiques industrielles, et préconisaient d’y substituer des méthodes artisanales, davantage respectueuses de l’environnement.
Autant de divergences ne facilitant pas la prise de décision au niveau fédéral.
Aussi les autorités avaient-elles beaucoup misé à cette époque sur une campagne de mesures aériennes par ondes électromagnétiques, qui devait permettre de connaître la répartition et l’évolution des zones qui connaissent des problèmes de salinité excessive.
L’avion Ultra-Sound of the Earth devait ainsi survoler tous les Etats australiens, notamment l’Australie occidentale et le bassin de la Murray-Darling pour repérer les aires d’accumulation de sel, et les conduits qui le drainent vers les rivières. Les données collectées permettant l’établissement d’une carte tridimensionnelle de la salinité, sur laquelle les gouvernements locaux étaient censés s’appuyer afin de proposer les mesures les plus efficaces pour résoudre le problème.
Reste que dès 2003 le spectre de la grande sécheresse hante l’Australie.
L’année suivante les restrictions en vigueur dans toutes les grandes villes, dont Sydney, peuvent entraîner une amende de 220 dollars pour qui arrose indûment son jardin… Des patrouilles sont mises en place qui surveillent un arrosage devenu, selon le jour et l’heure, illégal.
A Canberra, pour protéger les réservoirs, on abat plus de 800 kangourous qui avaient abandonné une campagne brûlée par la sécheresse pour s’installer près des sources d’eau. Certains d’entre eux avaient été rendus si agressifs par la faim qu’ils avaient attaqué une femme et tué un chien, en juillet 2004, en pleine ville.
Seul le territoire tropical du Nord pouvait continuer à remplir ses piscines, laver ses voitures et arroser ses jardins jusqu’à plus soif. Les orages y sont violents et la couche nuageuse si épaisse que les scientifiques du monde entier viennent l’observer. Malgré cela, seule 1% de la population australienne y réside. L’immense majorité s’agglutine au Sud, dans les grandes villes côtières qui, à trop grandir, épuisent leurs dernières ressources.
Dans le courant de l’été 2004 les autorités édictent donc de nouvelles mesures de rationnement. A dater du 1er juillet 2004, dans le New South Wales, toute nouvelle maison doit être conçue et construite grâce à des techniques de recyclage qui envoient l’eau du bain dans les toilettes, et celle de la vaisselle dans le jardin, pour consommer 40% d’eau en moins. Le gouvernement offre aussi des subventions à ceux qui équipent leurs maisons de citernes pour capter l’eau de pluie. Mais ces mesures pèsent peu au regard du désastre annoncé.
Ainsi, en 2005, l’étiage du plus grand réservoir de stockage d’eau de Sydney, le barrage de Warragamba, s’établit en dessous de 40 % de sa capacité pour la première fois depuis sa construction.
Seconde partie
L’Australie a adopté en juin 2004 une « Initiative nationale pour l’eau », dotée d’un fonds d’investissement de 1,25 milliard d’euros. Elle visait à redéfinir le système national de gestion de l’eau et à favoriser les investissements dans les infrastructures et les technologies nouvelles, ce qui a ouvert la voie aux grandes entreprises privées du secteur, dont les françaises Veolia et Suez, qui ne cessent depuis lors d’y emporter des marchés considérables, et d’y développer de nouvelles modalités de gestion de la ressource.
Le gouvernement fédéral australien, les 6 Etats, les 2 Territoires intérieurs et 6 Territoires extérieurs (des îles), signaient en juin 2004 la National Water initiative, un programme de grande ampleur qui établissait les lignes directrices d’une réforme globale du système national de gestion de l’eau dans tous les domaines : la comptabilisation des ressources hydriques, la connaissance et les capacités de stockage, les droits d’accès à l’eau et leur cadre de planification, les marchés et la commercialisation de l’eau, la tarification de l’eau, la gestion intégrée, la réforme de la gestion urbaine de l’eau, les partenariats communautaires et les ajustements.
C’était la première fois qu’une telle initiative était menée à l’échelle nationale. En 1994, des programmes avaient été développés par chaque Etat, mais de manière fragmentée.
Puis une série de réformes institutionnelles et législatives conduites par le gouvernement fédéral avait permis quelques améliorations. Mais l’étude économique de l’Australie présentée par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) en 2004 avait souligné un rythme de réforme trop faible pour les zones rurales.
Ces réformes profitent aux grandes entreprises privées du secteur, dont Suez et Veolia Eau, soulignait dès 2006 Invest Australia, un organisme créé en 1997 par le gouvernement fédéral pour promouvoir les investissements productifs en Australie, et aider les entreprises étrangères à y investir.
« L’Australie consomme déjà trop d’eau par rapport à ses ressources, et cette tendance ne cesse d’augmenter. A partir des années 1980 il a été reconnu que nos ressources en eau devenaient plus rares. Que beaucoup de nos rivières étaient polluées, qu’elles ne s’écoulaient que par intermittence. Et que notre faune et notre flore en subissaient les conséquences.
"Parallèlement, les demandes d’eau de la part des utilisateurs urbains, ruraux et industriels augmentaient chaque année. A l’heure actuelle, ce sont des régies publiques qui gèrent l’approvisionnement en eau. Mais elles se tournent de plus en plus vers des fournisseurs privés dans le cas d’opérations clés, comme le traitement ou la distribution d’eau potable. Cette tendance devrait se confirmer dans l’avenir, avec une population croissante et des infrastructures vieillissantes", soulignait Invest Australia.
En Australie, près de 50 % de l’alimentation en eau est assurée par des sociétés de services publics appartenant à l’Etat. Elles distribuent environ 13 milliards de m3 d’eau courante par an. Le chiffre d’affaires brut de l’industrie de l’eau représente environ 3,85 milliards d’euros. En général, l’eau est fournie dans une région par un organisme public unique.
Le premier service public d’Australie dans ce domaine, Sydney Water, alimente 3,5 millions d’habitants de Sydney. Lors même qu’aucun projet radical de privatisation des services publics de gestion de l’eau en Australie ne soit ouvertement revendiqué par les autorités, les sociétés privées ont cependant de plus en plus d’opportunités de participer à l’installation et à la gestion d’équipements. Elles interviennent notamment dans le cadre des projets DBO (Design-Build-Operate, conception, construction et exploitation) et BOOT (Build-Own-Operate-Transfer, conception, propriété, exploitation et transfert).
Elles bénéficient des investissements de l’Australian Government Water Fund, qui a été créé conjointement à l’adoption de l’Initiative nationale pour l’eau, et doté de 1,25 milliard d’euros. Son objectif étant de favoriser l’investissement dans les infrastructures, d’améliorer la gestion de l’eau et les pratiques environnementales.
Au printemps 2006 des projets de gestion de l’eau d’un montant total de 6 milliards d’euros étaient ainsi en attente d’approbation en Australie.
Souhaitant développer une industrie australienne "compétitive, innovante et diversifiée", le gouvernement se veut très actif. Il propose des programmes d’assistance aux entreprises, des aides à la recherche et la commercialisation. Il édite aussi un guide détaillant tous les acteurs, produits et services liés au secteur des technologies de l’environnement.
Un volontarisme bien dans l’air du temps puisque le 26 mars 2007 les pays de l’OCDE approuvaient de nouveaux principes destinés à aider les gouvernements à œuvrer de conserve avec des partenaires privés pour financer et réaliser des grands projets d’infrastructure dans des domaines qui revêtent une importance vitale pour l’économie, tels que les transports, la distribution d’eau, la production d’électricité et les télécommunications.
Les Principes de l’OCDE pour la participation du secteur privé aux infrastructures présentent ainsi une liste de points que les gouvernements devraient prendre en considération pour assurer que les citoyens accèdent aux services dont ils ont besoin à un prix équitable et que les partenaires privés bénéficient de rendements acceptables. Selon la Banque mondiale, entre 2001 et 2005, plus de 850 projets d’infrastructure dans les économies en développement ont été en partie financés par des fonds privés à un coût estimé de 175 milliards de dollars. Les Principes visent à donc à « aider les gouvernements à répondre à toute une série de questions que peut soulever la collaboration avec le secteur privé ».
Course de vitesse ou fuite en avant ?
On recensait en Australie dès 2006, à Wimmera-Mallee, dans l’Etat de Victoria, la conversion d’un canal ouvert en pipeline, d’une longueur de 1600 kilomètres, pour un coût prévu de 313 millions d’euros, afin de réduire la perte d’eau par évaporation.
A Gold Coast, dans l’Etat du Queensland, la construction d’une usine de dessalement pour un coût de 103 millions d’euros.
A Golf de Spencer, en Australie méridionale, la construction d’une usine de dessalement pour un coüt de 188 millions d’euros.
A Perth, en Australie occidentale, la construction du pipeline de Kimberly, pour un coût de 1,3 milliard d’euros.
A Ballarat, dans l’Etat de Victoria, la construction d’une usine de retraitement de l’eau pour un coût de 19 millions d’euros.
A Mackay, dans l’Etat du Queensland, la construction du barrage d’Urannah pour un coût de 113 millions d’euros.
Où la modernisation de l’infrastructure d’irrigation du Murrumbidgee pour un coût de 156 millions d’euros…
Lors du sommet australien sur l’eau organisé en mars 2005, les industriels et les agriculteurs s’inquiétaient de devoir faire face à des sécheresses de plus en plus sévères, en dépit des actions gouvernementales pour améliorer l’accès à l’eau.
Selon le quotidien The Australian, le P-DG de l’entreprise d’emballages australienne Visy industries annonçait par exemple vouloir investir dans les infrastructures d’irrigation, estimant que le gouvernement n’investit pas assez rapidement dans ce domaine, malgré la mise en place en 2004 de la National Water Initiative.
L’entrepreneur proposait donc de créer des sortes d’autoroutes d’eau avec péage, qui permettraient d’attirer des investisseurs privés. Une étude ayant établi qu’un système d’irrigation dans la vallée de Murrumbidgee récolterait 1300 gigalitres par an. Et que les investissements estimés à 824 millions de dollars australiens créeraient 4.500 emplois…
Un laboratoire pour la réutilisation des eaux usées
Dans un registre voisin, la crise australienne préfigure aussi le « boom » auquel semble promis au niveau international le « re-use », présenté comme une « méthode alternative » pour économiser l’eau et faire face à une crise potentielle.
Les principaux distributeurs d’eau français, Suez environnement et Veolia eau, développent en effet activement des projets de « re-use ».
Le marché semble prometteur, si l’on en croit le rapport publié le 31 mai 2005 par l’Institut Global Water Intelligence, « Water reuse markets 2005-2015 : A global assessment and forecast » :
« Sur les 369 milliards de mètres cubes (m3) d’eaux usées collectés dans le monde chaque année, 7,1 m3 sont réutilisés. C’est ce qu’on appelle le « re-use ». D’ici 2015, le volume d’eau réutilisée devrait connaître une croissance de 180%. Le dessalement de l’eau de mer, autre méthode alternative, enregistrerait « seulement » une augmentation de 102%. La Chine et la zone Moyen-Orient/Afrique du Nord sont les principales régions qui devraient voir leur capacité installée augmenter pour le re-use, respectivement de 29% et de 12% d’ici 2015. »
Lors d’une conférence de presse tenue à Paris le 22 septembre 2006, le directeur général de Veolia eau, M. Antoine Frérot, vantait les mérites du re-use, dont l’un des avantages résiderait dans le fait que « la ressource augmente en même temps que la population augmente ».
De plus, ce système serait moins coûteux que le dessalement, l’eau importée, ou l’eau puisée à plus de 800 mètres de profondeur. Mais tout dépend de la qualité finale souhaitée et donc des étapes de traitement à ajouter à la sortie des stations d’épuration. Ainsi, selon M. Antoine Frérot, le prix du m3 d’eau recyclée peut aller de 10 à 50 centimes d’euros.
Utiliser le re-use pour produire de l’eau potable est loin d’être d’actualité en France.
La capitale de la Namibie, Windhoek (250 000 habitants), est d’ailleurs la seule ville au monde, avec Singapour, à produire son eau potable directement à partir des eaux usées.
« Il est techniquement possible de réutiliser les eaux usées pour produire de l’eau potable, mais il existe des freins psychologiques », indique-t-on parallèlement chez Suez environnement.
Les deux concurrents se limitent donc pour l’instant à l’irrigation des cultures, à l’arrosage des espaces verts et des terrains de golf, ou au recyclage des eaux de « process » dans certaines usines.
Veolia mène tout de même actuellement une vingtaine de projets de re-use en France, pour 120 dans le monde.
Le golf de Sainte-Maxime (Var), dont la consommation est équivalente à celle de 15 000 habitants, est en partie arrosé à partir d’eaux usées.
Dans une partie de la baie du mont Saint-Michel (Manche), les eaux usées sont acheminées dans des bassins de lagunage, où des bactéries se chargent du traitement. Des cultures maraîchères sont irriguées grâce à cette eau recyclée.
Mais les deux groupes distributeurs d’eau ont surtout investi dans des projets à l’international.
Suez environnement, via sa filiale Degrémont, a par exemple construit à San Luis Potosi (Mexique) une station d’épuration inaugurée début 2006. Elle doit contribuer au recyclage de 80.000 m3 d’eaux usées par jour. Une partie de l’eau obtenue est utilisée pour irriguer des cultures, et l’autre partie sert de liquide de refroidissement dans une centrale thermique.
Les multinationales françaises à l’assaut de l’Australie
Quatre grandes sociétés européennes possèdent des filiales en Australie et deux d’entres elles sont françaises, Degremont (groupe Suez) et Veolia Environnement. Les deux autres sont l’Anglais Earth Tech Engineering et l’Allemand Thiess Services.
L’Australian Water Services, filiale de Degremont (groupe Suez), implantée à Sydney, est née de la fusion d’Australia Lend Lease Corporation et de Degremont (Suez Environnement).
Elle fournit une expertise concernant la distribution de l’eau, son traitement et d’autres services aux collectivités australiennes mais aussi néo-zélandaises.
A Prospect, à l’ouest de Sydney, elle construit la première station de purification de l’eau en Australie, avec 3 millions de m3 par jour, assurant l’alimentation en eau potable de 3,5 millions de personnes (85 % de la population de Sydney). Un projet dit de « conception, propriété, exploitation et transfert » (Boot), pour Sydney Water, dans le cadre d’un contrat de 25 ans signé en 1996.
A Kwinana, au sud de Perth, l’entreprise participe à une joint-venture portant sur la conception, la construction et l’exploitation pendant 25 ans de la première usine de dessalement d’eau de mer par osmose inverse de la ville de Perth. Dont une partie de l’énergie nécessaire à son fonctionnement sera fournie par un gigantesque parc de générateurs solaires.
L’usine, qui devrait produire 130 000 m3 par jour, et sera la plus importante unité de dessalement de tout l’hémisphère Sud, exploitera la technologie de l’osmose inverse.
Les premières usines de dessalement apparues dans les années 60 produisaient de l’eau douce en distillant l’eau de mer. Le procédé était très gourmand en énergie, et devait donc être couplé à une centrale énergétique brûlant du gaz ou du pétrole. Dans ces unités de co-génération, massivement présentes dans le Golfe Persique, la production d’eau demeure donc tributaire de celle d’énergie, et le prix du mètre cube se situe autour de 1,50 euros.
Depuis une dizaine d’années cette technologie de première génération est de plus en plus supplantée par l’osmose inverse (1). Le procédé consiste à injecter l’eau de mer, débarassée de certaines impuretés, comme le plancton et les algues, à travers une membrane sous une pression de 70 bars.
Le prix du mètre cube se situe dans ce cas entre 0,7 et 1 euro, et on peut surtout produire de l’eau à la demande. Dans certains cas, le coût de la production s’établit même aujourd’hui à 0,50 centimes d’euros, dans des unités qui allient distillation thermique et procédé membranaire, comme celle construite par Degrémont (groupe Suez) à Fujairah pour alimenter l’émirat d’Abu Dhabi.
L’osmose inverse représenterait déjà un marché de plus d’un milliard de dollars, avec des perspectives de très forte croissance. Les 15 000 sites de dessalement de l’eau de mer déjà opérationnels aujourd’hui dans le monde alimentent 160 millions de personnes, quand 2,4 milliards d’habitants de la planète vivent à moins de 100 kilomètres des côtes…
A Botany Bay, à Sydney, Degremont est aussi soumissionnaire, en tant que membre d’un consortium, dans le cadre d’un appel d’offres pour la construction de ce qui pourrait devenir, supplantant celle de Perth, la plus grande usine de dessalement au monde, pour un coût de 1,3 milliard d’euros.
Pour sa part Veolia Water Australia, filiale de Veolia Environnement, réalise des projets de sous-traitance et de conception/construction couvrant toutes les étapes de la gestion du cycle de l’eau en Australie.
Elle a notamment réalisé à Noosa, dans l’Etat du Queensland, la première usine australienne de production d’eau potable traitée à l’ozone et filtrée au charbon actif, dans le cadre d’un contrat « DBO » de 15 ans, avec le conseil municipal de Noosa.
A Bendigo, dans l’Etat de Victoria, la première usine de traitement d’eau potable mettant en oeuvre un système biologique à membrane immergée, pour un volume de 126 000 m3 par jour.
A Illawarra, en Nouvelles-Galles du Sud, la première usine de retraitement industriel des eaux usées d’Australie, pour un volume de 20 000 m3 par jour pour la réutilisation par BHP, à Port Kembla.
A Kwinana, en Australie occidentale, une usine de recyclage des eaux usées pour leurs réutilisations par de grandes sociétés industrielles, pour un volume de 16 700 m3 par jour.
A Gerringong, en Nouvelles-Galles du Sud, l’usine de traitement des eaux usées la plus évoluée d’Australie pour les égouts, pour un volume de 2 200 m3 par jour, avec élimination avancée des nutriments biologiques, membranes, traitement à l’ozone/filtre au charbon actif et désinfection par ultraviolets.
Elle assure aussi à Wollongong, en Nouvelles-Galles du Sud, le traitement de l’eau potable pour 500 000 personnes par jour. Et à Adélaïde, en Australie méridionale, les services d’approvisionnement en eau et d’évacuation des eaux usées pour 1 million de personnes au travers de United Water, détenue à 50 % par Veolia Water Australia et 50 % par l’Américain Halliburton KBR Inc…
(1) On appelle osmose inverse le transfert de solvant (de l’eau le plus souvent) à travers une membrane, sous l’action d’une différence de concentration. Cela se traduit par un flux d’eau, de la solution diluée (eau pure) vers la solution plus concentrée (eau de mer). En appliquant une pression sur la solution concentrée, on peut empêcher ce flux, voire l’inverser. Le solvant circulera alors de la solution concentrée (eau de mer) vers la solution diluée. C’est l’osmose inverse. Ainsi, en appliquant une contre-pression de 60 bars sur un volume d’eau de mer en contact avec une membrane semi-perméable, une partie de l’eau douce (le solvant) contenue dans l’eau de mer passe à travers la membrane pour fournir une eau potable et minérale (entre 350 et 400mg/l). Une unité peut produire 40 volumes d’eau douce à partir de 100 volumes d’eau de mer (35g/l). Les 60 volumes restants contenant de la saumure (48g/l) sont rejetés à l’égout. Depuis quelques années un système de récupération d’énergie innovant, l’échangeur de pression, permet de réduire jusqu’à la moitié l’énergie indispensable au procédé.
3ème partie
A l’instar des Etats-Unis l’Australie n’a pas ratifié le protocole de Kyoto sur le réchauffement climatique. Mais à dater de 2006, le caractère aigu de la crise de l’eau qui affecte le continent et la montée en puissance du thème du changement climatique dans l’agenda international dessinent les lignes de force d’une nouvelle stratégie, qui se met en place à un rythme vertigineux, et préfigure ce qui pourrait se passer dans d’autres pays développés à l’horizon des prochaines années.
Le 12 mai 2006 la commission environnement de la Chambre des représentants de l’Australie rend publique les conclusions de l’audition qu’elle a organisée sur le projet de Charte de développement durable de l’Australie.
Le 29 juillet 2006, les habitants de Toowoomba, ville du Queensland, état du nord-est de l’Australie, s’opposent à une proposition de leur mairesse Mrs Dianne Thorley, qui leur soumettait un projet de consommation de leurs eaux usées retraitées...
Les partisans du projet Water Futures, favorables à ce recyclage destiné à pallier la diminution des ressources en eau, perdent leur bataille. Le référendum s’est en effet achevé sur un résultat de 62% de votes contre et 38% de votes en faveur du projet. La population a notamment rejeté le projet en raison de l’absence de garanties scientifiques quant à l’impact du procédé sur la santé.
Des mesures de restriction d’eau étaient déjà appliquées à Toowoomba depuis une dizaine d’années, conséquences de la troisième plus importante sécheresse, « The big dry », jamais enregistrée dans le pays, et qui a déjà généré plusieurs milliards de dollars de dégâts dans les zones rurales. Elle affecte les Etats de l’Est (New South Wales, Victoria et Queensland), ainsi que l’Australie du Sud et la Tasmanie.
Une semaine plus tard, le 8 août 2006, le bureau chargé de l’effet de serre du ministère de l’Environnement publiait un guide sur les puits de carbone intitulé « Planning Forest Sink Projects - A Guide to Forest Sink Planning, Management and Carbon Accounting ».
Il proposait des procédures pour la planification et la gestion des puits de carbone, ainsi que pour la comptabilisation de la séquestration du carbone dans ces puits. Il s’adressait aux personnes qui veulent monter des projets de puits de carbone et aux investisseurs. Et s’inscrivait dans le cadre de la stratégie du gouvernement australien de réduction des émissions de gaz à effet de serre, conformément au protocole de Kyoto qui a fixé pour l’Australie un objectif de réduction de ses émissions de 108 % de 1990 à 2008-2012.
Eau et agriculture
La commission sénatoriale des Affaires régionales et du transport tient à son tour, le 16 août 2006, une audition sur l’impact de la nouvelle politique de l’eau pour le secteur agricole. Qui évoque les questions de la protection des aquifères, les techniques d’irrigation, la prévision et la gestion des sécheresses, la prévision de la demande en eau dans le domaine agricole, les implications pour le secteur agricole du changement climatique.
Dans une déclaration publiée au JO du 12 septembre 2006, les Etats du Qeensland et de South Australia adhèrent au système fédéral de gestion économe de la ressource en eau.
La déclaration modifie une précédente Déclaration de 2005 établissant un label pour garantir une gestion efficace et économe des réseaux d’eau (the Water Efficiency Labelling and Standards Declaration 2005).
Cette modification vise à certifier que les Etats du Qeensland et de South Australia ont adopté des législations conformes à la Déclaration de 2005. Les deux Etats rejoignent donc le système WELS (pour Water Efficiency Labelling and Standards), mis en place par le gouvernement fédéral pour réduire la consommation d’eau des ménages, qui favorise l’achat d’équipements performants permettant d’atteindre ces objectifs.
Dans un communiqué du 11 octobre 2006, une équipe de recherche de l’université Flinders d’Adelaïde annonçait que les Australiens sont de plus en plus favorables à l’utilisation d’eau recyclée, y compris comme eau de boisson…
Ainsi, parmi 2500 personnes interrogées dans le cadre d’une enquête nationale, 96, 5% se disent prêts à l’employer pour la chasse d’eau de leurs toilettes et 96% pour irriguer les jardins. 73% l’utiliseraient dans leur machine à laver et 67% pour se nettoyer les mains. Selon Mrs June Marks, du département de sociologie de l’université Flanders, plus l’application requiert un contact avec le corps, moins les personnes sont favorables à l’utilisation de l’eau recyclée. Ce rejet étant particulièrement lié à des conventions culturelles. Environ 42% des personnes ont exprimé une confiance modérée ou importante à l’idée d’utiliser cette eau à partir d’un système de réutilisation indirecte (mélange d’eau recyclée et d’eau conventionnelle, destiné à être bu).
« Cela correspond aux résultats obtenus à Toowoomba, et c’est le signe d’une acceptation plus forte par rapport à ce que nous avons pu constater auparavant », indiquait June Marks.
Lors d’un référendum organisé en juillet 2006, environ 60% des habitants de cette ville du Queensland avaient en effet refusé, nous l’avons vu, qu’un quart de leur eau potable provienne du recyclage des eaux usées, alors que 40% avaient exprimé leur soutien au projet.
Le ministre de l’Environnement annonce ensuite, le 23 novembre 2006, que le gouvernement australien financera à hauteur de 60 millions de dollars un projet de capture et de stockage de dioxyde de carbone dans l’Etat de Western Australia.
Il s’agirait du plus grand projet de ce type au monde. Le financement est pris en charge par le Low Emissions Technology Demonstration Fund du gouvernement fédéral, doté d’un budget global de 500 millions de dollars. Le ministre de l’Environnement rendra public le 6 décembre 2006 le rapport réalisé par un comité d’experts indépendants sur l’état de l’environnement en 2006 (State of the Environment 2006).
Il s’agit du troisième rapport de ce type, qui sont publiés tous les cinq ans. Le rapport 2006 met notamment en avant un quadruplement des dépenses du Gouvernement en faveur de l’environnement, un ralentissement du déboisement, une amélioration de la protection de l’environnement marin et un état généralement satisfaisant de l’air urbain.
Des marchés colossaux
Dans un communiqué du 5 décembre 2006, Veolia eau annonçait avoir été retenue pour deux projets qui doivent permettre à l’Australie de lutter contre la sécheresse dont elle souffre de plus en plus.
Le premier concerne une infrastructure de recyclage de l’eau dans le Queensland. Veolia eau interviendra d’abord en qualité de conseil pour le développement de l’ensemble des installations et des infrastructures, puis dans un second temps en tant qu’opérateur. D’un montant global d’un milliard d’euros, l’achèvement du projet est prévu pour fin 2008, avec pour objectif le traitement de 200.000 mètres cubes par jour.
Le même gouvernement confie également au géant français, en partenariat avec John Holland Group, la réalisation d’une usine de dessalement, puis son exploitation et sa maintenance. La production devrait atteindre, d’ici 2009, 125.000 mètres cubes d’eau potable par jour.
« Ce second contrat devrait contribuer au chiffre d’affaires de Veolia eau à hauteur d’un montant cumulé de 210 millions d’euros sur sa durée initiale » de 10 ans, estimait l’entreprise dans son communiqué.
Un article de The Australian, daté du 19 décembre 2006 indiquera ensuite que le gouvernement du Premier ministre John Howard a pour projet d’obliger les Etats à donner l’accès aux eaux usées à des sociétés privées.
M. Greg Hunt, secrétaire parlementaire du ministre de l’Environnement M. Ian Campbell, indiquait que si les Etats (australiens) ne se mettaient pas à davantage recycler les eaux usées, ils seraient confrontés à une concurrence importante. Le gouvernement envisage par ailleurs de mettre en place un système de sanction-récompense données aux Etats, selon qu’ils permettent ou non à des sociétés privées d’accéder aux eaux usées à des fins de recyclage... Compte tenu de la période de sécheresse qu’est en train de traverser le pays, des milliers d’Australiens sont confrontés à des restrictions d’eau, pour arroser leur jardin ou laver leur voiture. Et M. Greg Hunt considère "honteux" que des milliers de litres d’eaux usées soient déversés dans l’océan chaque année alors qu’ils pourraient être recyclés. « La solution est de casser les monopoles étatiques qui existent déjà en matière d’eau, à travers une concurrence pour le droit de traiter et de vendre de l’eau recyclée aux secteurs de l’agriculture et de l’industrie », indiquait-il. De son côté, le gouvernement de l’Etat de New South Wales vient de mettre fin au monopole de Sydney Water et Hunter Water, en ouvrant le marché de l’eau à la concurrence. Le parlement de cet Etat avait en effet adopté en novembre 2006 le Water industry competition act, qui autorise des sociétés privées à vendre des services d’eau potable, recyclée et d’eaux usées…
Rien d’étonnant dès lors d’entendre trois mois plus tard, le 20 mars 2007, M. Malcolm Turnbull, ministre fédéral pour l’Environnement et les ressources en eau, lancer un appel pour un plus grand investissement du secteur privé dans les infrastructures de l’eau...
Restrictions maximales
Avant cela, le 1er janvier 2007, 140 inspecteurs de l’eau sillonnent les rues de Melbourne (Victoria), afin de dénicher de potentiels contrevenants qui enfreindraient les normes de restriction en vigueur dans cet Etat, touché par une très sévère sécheresse.
Depuis le 1er janvier, le niveau 3 a été décrété, qui interdit l’arrosage des jardins excepté deux jours par semaine. Ces restrictions s’ajoutent aux règles d’économie d’eau permanentes qui s’appliquent depuis 2005.
Elles font partie d’un plan présenté le 29 décembre 2006 par le Premier ministre du Victoria, M. Steve Bracks, qui autorise les autorités publiques à réduire la pression de l’eau pendant deux jours aux habitations ayant eu des avertissements pour ne pas avoir respecté les restrictions en vigueur. Les contrevenants devront payer une amende pour avoir de nouveau suffisamment de pression.
D’après le journal local de Melbourne The Age, M. John Brumby, ministre du développement régional et rural du Victoria, a déclaré que les industriels étaient eux aussi soumis à des restrictions, « les plus dures jamais connues ». « Si nous n’avons pas de pluie, nous devrons probablement passer au niveau 4 en avril », a indiqué le ministre de l’eau du Victoria John Thwaites, selon un article de The Australian du 2 janvier. Ce niveau correspond à une interdiction totale d’utiliser l’eau à l’extérieur. Selon ABC Newsonline, le porte-parole de l’Australian Conservation Foundation a déclaré que des restrictions plus drastiques ne résoudraient pas le problème et que le gouvernement du Victoria devrait aller beaucoup plus loin.
Le 3 janvier 2007, le nouveau rapport annuel sur le climat du Bureau de météorologie australien, (Annual australian climate statement 2006), désigne le phénomène El Nino comme la cause principale de cette sécheresse.
Dans le Victoria, elle a entraîné des incendies et a engendré de nombreux dégâts agricoles. Pour une partie du nord-est de l’Etat, 2006 a été l’année la plus sèche jamais enregistrée, et actuellement, le taux de remplissage des réserves d’eau alimentant Melbourne est de 38,7%, contre 58,2% un an auparavant. Pour inciter aux économies d’eau, le gouvernement de l’Etat propose depuis le 1er janvier 2007 une réduction de prix sur les dispositifs de récupération des eaux de pluie permettant d’alimenter les toilettes et la machine à laver.
Il a également investi 300 millions de dollars (180 millions d’euros), dans un projet destiné à acheminer l’eau d’une rivière vers les villes de Bendigo et Ballarat. Selon The Australian, la stratégie de M. Steve Bracks pour la capitale Melbourne serait de traiter ses eaux usées et de s’en servir pour refroidir les centrales électriques. L’eau actuellement utilisée à cet effet servirait alors à alimenter Melbourne. Le Premier ministre s’est en effet fermement prononcé contre la consommation d’eau issue du recyclage des eaux usées, au moment où un sondage national publié dans The Australian le 26 décembre montrait que 7 Australiens sur 10 souhaitent que les eaux usées recyclées soient utilisées dans les habitations, y compris pour la consommation en tant qu’eau potable, à condition qu’elle soit convenablement traitée.
Selon un nouvel article de The Australian du 19 janvier 2007, le gouvernement de l’Etat du New South Wales s’est engagé à construire une usine de dessalement à Sydney si le pourcentage de remplissage des réservoirs d’eau qui alimentent la ville atteint 30%. Le 18 janvier, il était de 35%. Une feuille de route, « Desalination blueprint design », a déjà été produite, qui prévoit la construction de l’usine en l’espace de 26 mois. Le gouvernement a préféré cette solution à celle d’un système de recyclage des eaux usées pompées dans les réservoirs qui utiliserait environ 60% d’énergie de moins qu’une usine de dessalement.
Selon lui, le coût lié au réseau de canalisations nécessaire au transport de l’eau recyclée, soit 2 milliards d’euros, serait nettement supérieur à celui de l’usine de dessalement.
Sydney Water, la société publique qui gère l’eau de Sydney, avait avancé un coût 70% supérieur. Un chiffre que dément la société rivale, Sydney Services, qui accuse Sydney Water d’avoir gonflé le prix du recyclage… Le gouvernement a déjà lancé un appel d’offres, ainsi qu’une campagne de publicité visant à promouvoir la technologie du dessalement.
Dans l’Etat du Victoria, le ministre de l’eau M. John Thwaites annonce le 16 janvier 2007 qu’une étude de faisabilité concernant la construction d’une usine de dessalement d’environ 600 millions d’euros était en cours. Il avait pourtant annoncé avoir abandonné l’idée du dessalement, qui apparaissait trop coûteux et consommateur d’énergie.
Un plan de dix milliards d’euros
Radio Australie dévoilait pour sa part le 26 janvier 2007 le plan présenté par le Premier ministre M. John Howard, doté de 10 milliards d’euros destinés à financer une augmentation massive des investissements dans les infrastructures d’irrigation, des dispositifs d’économie d’eau pour les exploitants agricoles et de vastes opérations de prospection dans le Nord du pays.
La pièce maîtresse du programme de M. John Howard - la gestion de la rivière Murray-Darling -, suscite cependant le mécontentement des gouvernements des États de la fédération australienne.
Le système fluvial de la Murray-Darling, le plus important du pays, est actuellement co-géré par quatre États. Mais le Premier ministre juge non viable cette organisation et estime que la gestion de ce qui représente l’une des plus importantes réserves d’eau australiennes doit revenir au gouvernement fédéral.
Le nouveau ministre de l’environnement et des ressources en eau, M. Malcolm Turnbull, affirme pour sa part que le plan en 10 points annoncé par le Premier ministre permettra à l’Australie de se doter du meilleur système de gestion des ressources en eau de la planète.
Dès le 29 janvier le Premier ministre de l’état du Queensland, M. Peter Beattie annonce que la chute dramatique du niveau des barrages n’a pas laissé d’autre choix à son gouvernement que de distribuer de l’eau usée recyclée par le biais du réseau de distribution publique dès 2008 dans le sud-est de l’état, l’une des régions australiennes qui enregistre le plus fort taux de développement urbain.
« Nous n’aurons pas de pluie, nous n’avons pas le choix. », déclarait-il à l’antenne de l’Australian Broadcasting Corporation Radio. Ajoutant que son gouvernement allait organiser un referendum sur ce projet.
Les agriculteurs australiens et la plupart des villes font face à la plus grave sécheresse survenue depuis un siècle. Certaines régions n’ont pas reçu de pluie depuis dix ans.
Mais le Premier ministre de l’état de South Australia, M. Mike Rann, déclarait lui que si son Etat utilisait déjà des eaux usées recyclées pour l’agriculture, il ne la distribuerait pas pour la consommation domestique
Néanmoins le Premier ministre australien, M. John Howard, félicitait M. Beattie et annonçait que de l’eau usée recyclée serait également distribuée à Sydney dans un proche avenir.
Dans ce contexte la conférence et l’exposition Ozwater 2007, organisées du 4 au 8 mars 2007 à Sydney par l’Association australienne de l’eau abordaient très logiquement toutes les questions relatives à la gestion de l’eau auxquelles l’Australie est confrontée : les principales réformes nationales, le changement climatique et ses effets probables, les progrès technologiques, les priorités de la recherche, le défi des ressources humaines indispensables à l’industrie de l’eau, les projets phares, le recyclage de l’eau, le dessalement, les comptes de l’eau, le contrôle, etc.
Le lendemain de sa clôture, le 9 mars 2007, la commission de l’eau de l’Etat du Queensland annonçait de nouvelles restrictions, proposant de passer, à compter du 10 avril, du niveau 4 au niveau 5.
Ces niveaux définissent les mesures de restriction d’utilisation de l’eau applicables aux entreprises et aux particuliers. Le niveau 5 restreint très fortement l’arrosage des pelouses, le lavage des véhicules et l’alimentation des piscines avec de l’eau potable.
La bataille de Murray Darling
Puis dans un article du 21 mars de The Australian, Mrs. Karlene Maywald, ministre de la sécurité de l’approvisionnement en eau de l’Etat du South Australia, annonçait qu’un certain nombre de lacs, lagunes et zones humides pourraient être temporairement déconnectés de la Murray River, le deuxième plus long fleuve d’Australie, d’ici au mois d’octobre 2007.
Une telle opération permettrait en effet, selon elle, d’économiser jusqu’à quatre milliards de litres d’eau par an, qui normalement s’évaporent. Si la sécheresse qui touche le pays depuis plusieurs années se poursuit, cela pourrait donc être une action capitale en termes de préservation des ressources pour 2007-2008. Selon The Australian, le dispositif doit être mis en place si les réserves en eau ne sont pas suffisamment réalimentées.
La commission en charge des services et des transports régionaux du Sénat fédéral annonçait ensuite le 9 avril 2007 qu’elle allait prochainement remettre son rapport sur les différentes options possibles pour pallier au manque d’eau dans le sud-est du Queensland. Elle devrait notamment donner un avis sur les impacts environnementaux qui résulteraient de la construction de nouveaux barrages.
50 000 agriculteurs menacés
Mais sans plus attendre le Premier ministre M. John Howard avertissait le jeudi 19 avril que la sécheresse historique qui sévit en Australie est telle que le gouvernement allait suspendre les irrigations dans la principale région agricole du pays s’il ne pleut pas rapidement.
Le monde rural est confronté à "une situation dangereuse sans précédent", déclarait-il. Avertissant que les allocations en eau des agriculteurs du bassin de Murray-Darling (Nouvelle-Galles-du-Sud) seraient supprimées si d’importantes chutes de pluies n’intervenaient pas dans un délai de six à huit semaines.
Le Premier ministre invitait même les Australiens à prier pour qu’il pleuve sur les deux fleuves enlacés Murray et Darling, au long desquels se succèdent des milliers de vergers, de vignobles et de pâturages...
Ce bassin, dans le sud-est de l’Australie, s’étend sur plus d’un million de kilomètres carrés, recouvrant la majeure partie de l’Etat de Nouvelle-Galles-du-Sud et une large part du Victoria, du Queensland et de l’Australie méridionale.
La région, qui abrite 72% des terres irriguées du pays et la plupart des vignobles, est considérée comme le grenier de l’Australie. Elle fournit 40% de la production agricole nationale.
M. John Howard reconnaissait qu’une telle mesure aurait des effets dévastateurs pour le monde rural, puisque sans irrigation les 50 000 fermiers qui dépendent de ces rivières et qui fournissent 40% de la production nationale seront condamnés.
Mais ces quantités d’eau étaient, à ses yeux, indispensables aux communautés urbaines qui risquent des restrictions critiques, du fait de cette sécheresse inédite, puisque réservoirs et barrages ont atteint leur plus bas niveau, leur étiage ne dépassant pas 6% de leurs capacités…
"Compte tenu de la nécessité de fournir aux zones urbaines un minimum d’approvisionnement en eau , il est peu probable qu’il en reste assez pour l’irrigation", précisait-il.
La Fédération nationale des agriculteurs a indiqué qu’elle souhaitait s’entretenir d’urgence avec le gouvernement au sujet de cette mesure sans précédent.
Dès le lendemain, cette annonce suscitait des désaccords.
D’après le Herald Sun, le bassin Murray-Darling, qui alimente quatre Etats, abrite 75% des cultures et des pâturages irrigués du pays. Les irrigants ont immédiatement réagi à l’annonce faite par M. John Howard, considérant qu’une augmentation des prix des produits alimentaires pourrait être observée si la mesure était appliquée.
D’après le quotidien de Melbourne (Etat du Victoria) The Age, la fédération des agriculteurs du Victoria (VFF) avait été mise au courant depuis le mois de février qu’il n’y aurait plus d’allocation d’eau à partir de juillet s’il ne pleuvait pas assez.
VFF estime que le Premier ministre aurait dû, depuis lors, apporter une assistance pratique adéquate. Elle soutient la décision du Premier ministre du Victoria, M. Steve Bracks, qui a refusé de signer l’accord national proposé par John Howard en matière de gestion d’eau, alors que les autres Etats du bassin Murray-Darling l’ont déjà accepté.
Dans une lettre adressée au Premier ministre M. John Howard, M. Steve Bracks, Premier ministre de l’Etat du Victoria, exposait ensuite ses exigences concernant le plan national sur l’eau, le 29 mai 2007.
Selon The Australian, les deux hommes devaient se rencontrer pour en parler, sachant que la gestion du bassin Murray-Darling, fortement affecté par la sécheresse, demeure un sujet de mésentente majeur.
Le Victoria est le seul des Etats concernés à ne pas avoir donné son accord, M. Steve Bracks accusant en effet le Commonwealth de vouloir acquérir un contrôle total du bassin. Il lui demande donc de donner une garantie montrant notamment qu’il n’utilisera pas la législation nationale pour restreindre l’autorité du Victoria dans la gestion des terres. Selon M. Steve Bracks, les discussions avec M. John Howard ne seront productives que si le Commonwealth exprime clairement ses intentions à long terme au sujet du bassin.
Incertitudes
« Je pense que les gouvernements, les bureaucrates et les ingénieurs spécialistes de l’eau sont en train de paniquer. Ils proposent des réservoirs encore plus grands, des canalisations encore plus grosses, déclarait le 11 septembre 2006 à la correspondante du quotidien français Libération en Australie le Dr Stuart Blanch, du World Wildlife Fund (WWF). A quoi cela sert-il si les réservoirs restent à moitié vides ? ».
Le Conseil international des céréales (CIC), le 27 mai 2007, puis le département de l’agriculture américain (USDA), le 11 juin 2007, estimaient que la production de céréales serait, au cours de la saison 2007-2008, inférieure à la consommation, malgré un recul de celle-ci. Pour le CIC, le déficit serait de 3 millions de tonnes pour le blé. Selon l’USDA, les réserves mondiales de froment tomberont à 112 millions de tonnes au printemps 2008, leur plus bas niveau depuis trente ans, car la campagne précédente avait été marquée par une très mauvaise récolte mondiale due à la sécheresse, notamment en Australie, où la production avait été divisée par deux.
Constat identique avec les vendanges achevées au début du mois de juin 2007, qui témoignaient d’une baisse de la production australienne de 25% par rapport à l’année 2006.
Dans un nouveau rapport publié le 14 aout 2007, la Water Services Association of Australia (WSAA), qui regroupe 30 membres et 31 membres associés qui fournissent de l’eau à 15 millions d’australiens, insiste sur l’inéluctable diversification des ressources en eau, que ce soit à travers le dessalement ou le recyclage des eaux usées.
Car, selon elle, Canberra, Sydney ou Darwin n’échapperont pas à la crise de l’eau à laquelle le pays doit faire face, liée au changement climatique et à la forte hausse de population qui s’annonce pour les années à venir.
Aussi la mise en place de nouvelles infrastructures pourrait entraîner des investissements d’environ 30 milliards de dollars australiens (17,8 milliards d’euros) dans les 5 à 10 prochaines années. Les prix de l’eau appliqués dans les villes seront donc fortement augmentés, lors même qu’en 2006/2007, un foyer australien payait en moyenne 321,62 dollars australiens (190,8 euros), 581,74 dollars (345,2 euros) en comptant la part dédiée à l’assainissement. Le rapport précise toutefois que les prix resteront inférieurs à ceux des autres services publics domestiques comme l’électricité.
Marc Laimé